Portrait En cuisine

Martina Caruso, jeune cheffe étoilée de l’archipel volcanique des Eoliennes

Martina Caruso, jeune cheffe étoilée, enfant de l’archipel volcanique des Eoliennes en Sicile, a la cuisine dans la peau et l’inspiration chevillée à son île méconnue de 26 km2, dans le sud de l’Italie. Elle a été nommée à 29 ans « chef femme de l’année Italie 2019 » par le guide Michelin associé à l’Atelier des grandes dames Veuve-Cliquot.

Il y a trois ans, sur sa bucolique Salina (2.000 habitants en hiver), elle était déjà devenue la plus jeune Italienne à conquérir une étoile Michelin. Le tatouage sur son avant-bras droit reflète ses ingrédients fétiches : ail, huile, piment, mer et poulpe. Longtemps, elle a observé – de loin – son père Michele, chef cuisinier de l’hôtel-restaurant familial et adepte de la cuisine traditionnelle. « Au début, mon père ne me laissait pas d’espace, il ne voulait pas que je devienne cheffe, métier fatigant». Elle a quitté le nid durant trois ans pour une école de cuisine près de Palerme, avant de prendre sa place aux fourneaux du « Signum » pour y introduire progressivement la technicité et la créativité de la gastronomie. « J’ai convaincu mon père en lui montrant ce que je savais faire».

Son activité saisonnière lui permet d’aller humer en hiver les casseroles d’autres chefs, comme celles du doublement étoilé Gennaro Esposito qui lui a donné confiance en elle. Elle revendique « la simplicité », « mais la simplicité, ce n’est pas dit que ce soit facile », précise-t-elle à l’AFP en riant. Les pâtes les plus simples – les spaghettis avec huile d’olive, ail et piment – trouvent des lettres de noblesse avec un aromatique bouillon de poisson et une sauce au persil, saupoudrés de « parmesan du pauvre » (mie de pain grillée et râpée).

Fumet d’oursins et câpres

L’île agricole de Salina est connue pour la culture des câpres. L’Italienne a donc osé la glace aux câpres, à consommer avec modération en raison de son goût prononcé. Sa mise en bouche, la « bagna cauda » – plat typique du Piémont (nord) à base d’ail et d’anchois, comparable à l’anchoïade provençale – prend des accents siciliens avec l’ajout d’un puissant fumet d’oursins. Elle propose aussi de découvrir la murène, qu’elle cuit sur la braise à même le sol dans son jardin, avant d’en retirer les nombreuses arrêtes. Ce poisson blanc délicat n’est plus vraiment préparé sur l’île, même s’il fait partie d’une vieille tradition locale.

« La cuisine française est beaucoup basée sur la technique, le mariage des saveurs. Pour penser un plat, les chefs italiens partent peut-être davantage de la tradition. C’est aussi ce que je fais en écoutant les anciens du pays», explique Martina. Les mezzi paccheri (grosses pâtes courtes en forme de tube) assortis d’une intense sauce aux calamars « étaient l’apanage des familles de pêcheurs», mentionne la cheffe qui leur a donné « un accent moderne« . Elle est fière de son maquereau à la soupe d’olives vertes, câpres confites et fenouil de mer, « très frais, avec beaucoup de contrastes sur la consistance, des jeux de température».

Culte féminin au fourneau

Sa maman, Clara, qui a racheté avec patience durant trente ans d’anciennes maisons pastels rectangulaires du village pour créer un hôtel de charme surplombant au loin les îles éoliennes de Stromboli et Panarea, n’a jamais cuit un oeuf. Egalement maire de sa petite commune de Malfa, elle y invite des artistes dans un palais transformé en centre culturel pour tirer le tourisme vers le haut. Le père Michele s’occupe encore de l’approvisionnement au petit matin, le frère Luca s’est improvisé gestionnaire. « Nous essayons de faire travailler les jeunes de l’île», précise aussi Martina. « Mon père a appris de sa mère. En Italie, la cuisine de la mamma, de la maison, c’est fondamental», note la cuisinière. Ce culte féminin au fourneau se retrouve d’ailleurs dans le nombre important de femmes italiennes distinguées par le Michelin.

Pour Martina, le titre de cheffe italienne de l’année est « un moment important » en termes d’image, mais aussi un prétexte pour parler de son métier au féminin, elle qui prend le soin de cuisiner avec une équipe mixte. Sa notoriété soudaine ne la pousse pas pour autant à aller voir ailleurs. « Je peux me promener dans le monde l’hiver. Salina, je ne l’abandonne pas, c’est ma maison».

Par Catherine MARCIANO avec l’AFP.

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