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A Naplouse, une dose de houmous pour adoucir le conflit israélo-palestinien
Utiliser la cuisine traditionnelle pour sensibiliser le monde à la cause palestinienne. « Une idée folle » qui a germé dans la tête de Fatima Kadumy. Fondatrice de la « maison de la dignité » à Naplouse, son acte de résistance a déjà séduit 1 200 personnes et pourrait offrir un faible espoir de paix à cette région en guerre depuis près de 70 ans.
« Certains font la guerre alors qu’il y a de plus belles façons de défendre le pays. » Dans la Vieille ville de Naplouse, Fatima Kadumy tente d’oublier les pires heures de l’Intifada en cuisinant des courgettes farcies accompagnées de purée de pois chiche. « Le conflit sur la culture, sur notre présence, sur notre existence est au cœur même de ce qui nous oppose aux Israéliens depuis 1948 », explique cette Palestinienne occupée à ranger sa Bait al-Karama.
« Idée folle », cette « maison de la dignité », fondée en 2008, vise à utiliser la cuisine traditionnelle pour sensibiliser le monde à la cause d’un peuple qui attend son Etat depuis près de 70 ans. Et, c’est peu de dire que le succès est au rendez-vous de ce projet à l’initiative de Fatima Kadumy, Beatrice Catanzaro (artiste plasticienne – Italie) et Cristiana Bottigella (cultural manager – Royaume-Uni). En sept ans, plus de 1 200 visiteurs sont venus de Chine, d’Australie, de Scandinavie, d’Allemagne, des Etats-Unis et d’ailleurs visiter cette Bait al-Karama. « Notre objectif est de permettre à ces derniers de découvrir notre culture culinaire mais, surtout, qu’ils mettent la main à la pâte. »
Tout droit venus de Washington, Rex et sa femme n’ont pas perdu de temps. Après une visite des échoppes de la Vieille ville avec Fatima Kadumy, le couple d’Américains apprend à réaliser un plat de courges et de feuilles farcies. Encadré par Nidal, mère de famille timide à la ville mais meneuse de troupe en cuisine, Rex n’en retient qu’une chose : « L’hospitalité et le bonheur de partager le quotidien des habitants de Naplouse. »
Un stand israélien et palestinien au Salon du goût de Turin
« Malgré l’occupation, on aime recevoir, on aime cuisiner et, surtout, on aime se régaler », glisse Nidal, qui explique ensuite à ses marmitons comment évider les courges à farcir. « Derrière la cuisine, il y a la politique et la résistance. On montre notre ville et notre vie à travers nos yeux, explique Fatima à l’AFP. Les étrangers pourront ensuite juger les Palestiniens de l’intérieur. »
Un activisme culinaire qui, depuis, a franchi les frontières. Depuis sa création, Bait al-Karama a ainsi rapidement rejoint Slow Food. Invité par le mouvement italien à se rendre, tous les deux ans, au Salon du goût de Turin, Fatima Kadumy en profite pour faire découvrir ses petits plats aux visiteurs de ce rendez-vous de la cuisine traditionnelle et locale. « Trop longtemps, nous avons laissé les Israéliens parler à notre place. Maintenant, à Turin, il y a le stand Israël mais aussi le stand Palestine », se félicite-t-elle.
Des Palestiniens et des Israéliens qui ne se disputent pas uniquement la terre mais aussi la paternité de nombreux plats. Comme l’emblématique houmous, cette purée de pois chiche qui ne se mange jamais sans falafels, sorte de petits beignets de pois chiche frits. Dans la Vieille ville de Jérusalem, le maître du houmous a pour enseigne Abou Choukri. Petit restaurant référencé par la plupart des guides et des circuits touristiques, cette adresse est une étape obligée pour qui veut déguster le « meilleur houmous » du Moyen-Orient.
Deux drapeaux pour un même plat traditionnel
Chef-cuisiner de 67 ans, Yasser Taha a hérité de ce lieu emblématique crée par son père en 1948, l’année de la création d’Israël. « Les Israéliens ont appris à faire le houmous avec nous, explique-t-il tout en s’affairant en cuisine. En venant occuper notre territoire, ils ont découvert ce qu’était ce plat typique et, maintenant, ils disent que c’est eux qui l’ont inventé », dit-il en souriant.
Et ce n’est pas Neta qui dira le contraire. Voulant profiter de ce « trait-d’union » entre les deux pays, cette Israélienne a fait une demi-heure de route pour venir manger dans la Vieille ville. Elle, aussi, a de grandes ambitions pour cette purée de pois chiche. « Tout le monde l’aime. Le houmous, c’est quelque chose que nous avons en commun, ça pourrait nous réunir et apporter la paix », veut-elle croire, alors que, depuis des années, les négociations de paix enchaînent les échecs.
Loin d’être partagée par tous, pour devenir un jour réalité, cette vision devra d’abord dépasser le stade du symbole. Car, si les clients des échoppes du quartier juif peuvent rentrer de vacances avec des photos de falafels surmontés du drapeau israélien, dans le quartier arabe, en revanche, c’est le drapeau vert, noir, rouge et blanc des Palestiniens qui flotte au-dessus de cette traditionnelle purée de pois chiche, dégradée d’ocre et de jaune, parsemée du vert des feuilles de persil et du rouge des graines de sumac moulues…
Photographie de une Tanya Habjouqa (via Bait al-Karama)
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