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Pur Projet : l’agriculture qui donne de l’air à la planète
93% des causes de la déforestation sont d’origine agricole, déplore la FAO. Depuis 2008, le mouvement Pur Projet tente d’inverser la tendance. Cinq millions d’arbres plantés à travers le monde permettent aux paysans de retrouver leur autonomie alimentaire tout en préservant la planète.
Il est 20h dans le minuscule village de Huoy Pha, au Nord de la Thaïlande. Une vingtaine de fermiers s’assoient en tailleur sur le sol natté de la maison du chef du village. Dans le clair obscur de leurs lampes torches posées sur le sol, pieds nus, bonnet et veste polaire, ils viennent discuter de l’avenir de leurs champs.
C’est une femme qui lance le débat. Kun Dao du mouvement Pur Projet, un collectif qui soutient les petits agriculteurs dans la mise en oeuvre d’alternatives à la déforestation. Pendant près de deux heures, les discussions portent sur les performances de leurs nouvelles techniques agroforestières, sur les achats nécessaires à la communauté villageoise et sur les modes de financement possibles. On lève la main, on s’esclaffe, on négocie. A 22h, l’ordre du jour comme les participants est épuisé. Chacun repart dans sa maison de bois. La nuit est sombre et sonore.
Nous sommes au coeur de la forêt, à une heure de mobylette de la première épicerie et pourtant, se rejoue ici le mauvais film de la déforestation. « Il y a quelques années, nous avons entendu parler de villages voisins qui plantaient du maïs, explique Sani, le chef du village. On a voulu tester nous aussi pour obtenir des revenus supplémentaires. »
Pendant un temps, les paysans se laissent amadouer par le boniment des semenciers. Ils coupent des arbres, plantent du maïs qu’ils vendent à l’industrie agro-alimentaire pour nourrir les poulets. Mais à l’heure des comptes, il n’y a plus grand monde pour tenir la calculette. Problèmes de santé liés aux pesticides chez les uns, endettement chez les autres, érosion du sol partout. Il ne leur faut que quelques années pour se rendre compte que leurs paysages désormais scarifiés ne produisent pas autant que ce qu’on leur avait annoncé. Il faut les rapiécer.
Selon les régions, les points de suture varient. Dans cette enclave karen, (une minorité ethnique tibéto-birmane), les paysans choisissent de planter des arbres fruitiers au coeur de leurs parcelles de maïs : ananas, macadamia mais aussi du thé et du café. « Dans quelques années, on aura une forêt comestible, » s’enthousiasme l’un des fermiers. Pour cela, ils s’appuient sur la méthodologie définie par Pur Projet et bénéficient de financements spécifiques pour le faire. En Thaïlande, le Roi prône depuis 1975 l’auto-suffisance. Objectif ? Produire localement de manière diversifiée et ainsi augmenter l’immunité sociale.
«Nous avons imaginé cinq modèles pour sortir les paysans de la spirale de la déforestation, explique Tristan Lecomte, fondateur du mouvement Pur Projet. Il y a le SRI, le système de riziculture intensive inventé à Madagascar dans les années 80 qui permet de cultiver du riz avec peu d’eau et sans produits chimiques. Mais aussi le rice ducking ou l’art d’inviter des canards pour labourer et amender le sol des rizières et enfin l’accès à l’auto-suffisance, l’agriculture sauvage ou l’agroforesterie. »
Pour définir ces différents modèles à la fois plus productifs et écologiques, Tristan, aussi à l’aise dans le monde des grandes entreprises que dans celui des chamanes, a créé sa propre ferme de 4 hectares en 2011 dans la région de Chiang Mai. L’idée ? En faire un projet pilote et tester de nouveaux programmes agronomiques. « Au départ, le sol était mort, nourri pendant 30 à 50 ans uniquement de riz, de soja et de produits chimiques, se souvient le quadragénaire. La terre était complètement asséchée par le manque d’ombrage et de couverture du sol. » « On s’est dit qu’il fallait regarder la forêt et l’imiter, » explique Khun Anan, sorte de Pierre Rabhi local, moine pendant 7 ans et aujourd’hui à la tête d’une ONG locale partenaire de Pur Projet.
En quelques années, les villageois redonnent vie à ces terres en plantant 27 000 arbres et en imaginant trois nouveaux espaces de production : le riz comme base de l’alimentation et culture de rente, le jardin agroforestier où le maraîchage se mêle aux arbres et l’élevage fait de poules, de canards, de grenouilles et de cochons. Une réserve d’eau est creusée pour l’irrigation et les poissons. Enfin, la ferme compte aussi une pépinière pour préparer les 100 000 plants qui chaque année iront étendre leurs racines dans les champs thaïlandais à restaurer.
« Nous sommes des plombiers du changement climatique, des pompiers face à la déforestation, rappelle Tristan qui mesure bien l’ampleur de la tâche. Si nous voulions compenser l’empreinte carbone annuelle mondiale avec des arbres, nous devrions en planter 90 milliards par an. Avec Pur Projet, nous en sommes à peine à 5 millions en 8 ans. » Aussi, pour changer d’échelle, le passionné cherche à faire financer ces nouvelles activités agricoles par les grands groupes. « La plupart des entreprises sont riches mais souffrent d’un déficit d’images. Pour les petits paysans, c’est exactement l’inverse. C’est un échange de bons procédés que je leur propose. » « On ne va pas changer d’échelle uniquement en mobilisant les entreprises. Nous devons aussi viser le coeur politique et le pouvoir financier de nos financiers, qui ont la capacité de nous faire changer de modèle. » Tristan Lecomte
Ainsi, Accor, Nespresso, Chanel, Caudalie et de nombreuses autres entreprises passent à la caisse, achètent des arbres et permettent à Khun Anan, Khun Sunan, Pi Tong, Sani et les centaines d’autres fermiers d’expérimenter une agriculture plus productive, plus autonome, plus libre aussi.
Lorsqu’on demande à Tristan s’il ne s’agit pas de greenwashing, il répond : « je ne vois pas d’autres solution que la non dualité pour rapprocher ces extrêmes, chercher sans relâche la complémentarité et la collaboration possible, construire des ponts même entre deux abîmes. » Et de conclure en éteignant son macbook et en soufflant sur la bougie de la ferme : « il faut savoir remettre en question les idées reçues, les préjugés. Analyser comme un médecin, se battre comme un soldat et prier comme un moine. »
Article écrit par Hélène Binet (La Ruche qui dit Oui) / Photographies Christian Lamontagne / Pur Projet.
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