Commençons par le Château : il n’y en pas. Quant à la vie éponyme, oubliez aussi. Le luxe ici, c’est le paysage pré-pyrénéen vallonné comme dans les films, les magnifiques brebis qui attendent la traite ou le bélier, les chiens au chômage technique jusqu’à la prochaine brebis égarée, les chattons sauvages qui ne comprennent guère leur classement comme animaux domestiques et Nino, Lison et Peio, les trois enfants d’Anne-Lise et Boris qui ont classe verte toute l’année.
Faute de vie de château, serait-ce la fête au village ? Pas vraiment non plus car pour une Marseillaise et un Normand qui ont fait leurs classes dans les Alpes, s’attaquer à la montagne de la culture basque par le versant symbolique du fromage Ossau-Iraty, ne peut être une promenade de santé. Mais quand on aime, l’adversité peut s’avérer un moteur de longévité et voilà neuf ans qu’ils s’aiment.
Le GPS patine très sévèrement pour trouver le bout du bout de chemin qui mène à la ferme, sur les hauteurs de Passarou. Côté architecture, rien à signaler, mais la ferme domine magnifiquement la situation côté paysage. A la Ferme du Château, on se sent tout de suite en famille et chacun attend patiemment son tour en faisant connaissance, pour atteindre le graal du magasin de la fromagerie qui peut accueillir un maximum de un client pas trop gros. On y trouve la production d’Ossau-Iraty au lait cru, du Etxekoa affiné entre 5 et 12 mois selon les saisons, et aussi un breuil parfumé (on l’appelle aussi greuil ou brousse) fabriqué à partir du petit lait et qui n’attend que la ciboulette ou le basilic pour accompagner vos tomates. On trouve aussi quelques produits des amis, à l’instar de la formidable confiture de cerises d’Itxasou de Itsas Mendi.
Les brebis, 300 Manech avec des jolies têtes rousses, pâturent comme des bêtes dans les près juste à côté, comme si l’herbe allait manquer dans l’heure. On ne sent poindre aucun facteur possible de stress pour ces animaux qui doivent donc produire un lait tranquille qui ressemble forcément à leur environnement. Même constat côté étable où Boris officie, les animaux ont toute la place et la paille qui sent bon pour s’étendre, même l’hiver doit être chaleureux.
Et pourtant, dans ce paradis, Anne-Lise et Boris ne semblent pas avoir la vie la plus facile. D’abord, même s’ils ont pris bien soin d’inscrire leurs enfants à l’école basque pour qu’ils parlent la langue et l’enseignent accessoirement à leurs parents, l’intégration n’est jamais acquise, le soupçon règne, le syndrome du mouton noir ou de la brebis galeuse reste tapi au détour des conversations. Basques d’adoption peut-être, mais il faudra attendre encore quelques générations pour prétendre à la titularisation.
Côté conditions de travail, ce n’est pas non plus un lit de roses. Le couple s’est endetté de près de 400 000€ sur la promesse des propriétaires de pouvoir acquérir à terme une parcelle de 44 hectares de l’exploitation. Ils pourraient ainsi s’y installer définitivement et accessoirement construire une maison. Après un stage d’un an dit « de parrainage », ils ont donc pris la suite des fondateurs du GAEC. Mais les choses évoluent chaotiquement dans une ambiance clochemerlesque où les propriétaires changent d’avis et se renient à tous bouts de champs.
Mais Anne-Lise et Boris sont des hargneux, ne sont pas de doux rêveurs nés de la dernière pluie du retour à la terre. Leur projet d’installation, ils l’ont pensé de bout en bout. L’arrière grand-mère d’Anne Lise officiait comme paysanne pas très loin d’Aubagne, la femme de son père a fait, comme elle, le chemin de la ville à la campagne, quant à Boris, il a commencé par les vaches. Ses grands parents étaient métayers dans le Limousin, lui, a fait ses classes en Normandie à s’occuper d’une exploitation de 40 hectares occupée par une centaine de vaches et pas mal de pommiers.
Avant de rencontrer sa compagne, il ne se projetait pas comme agriculteur mais comme charpentier et il suffit de se balader dans les bâtiments de la ferme pour se rendre compte que le gars n’a pas perdu la main. Visiblement l’argent manque encore pour payer un salarié à plein temps et les journées sont surchargées. Ils aimeraient faire passer leur élevage de cinq cochons pour usage domestique à 15 ou 20 bêtes pour diversifier leurs revenus et s’ajouter un peu de confort à la maison, mais il n’y a plus rien à emprunter à la banque.
A la ferme, ils ont tout refait, repris, réorganisé, mis aux normes, pour traiter 70.000 litres de lait et produire 10 tonnes de fromage par an. Leur Ossau-Iraty est une pure merveille et n’est diffusé que localement. En l’achetant, vous vous faites plaisir et en plus vous soutenez une grande et noble famille d’agriculteurs (basques).
Un article produit dans le cadre de l’application Adresses Gourmandes.
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