Portrait Artisan

La maison pariès, un sommet de gourmandise

06.06.16

Cette grande maison fait partie des meilleures enseignes gourmandes du pays basque. La célébrité de ses gâteaux, mouchous ou kanougas fait parfois oublier que le destin de la famille Pariès est pourtant intimement lié à l’or noir de la région : le chocolat. Retour sur une incroyable histoire de famille.

 

Deuxième moitié du XIXème siècle: le Pays basque est devenu la patrie du chocolat. Dans cette région où 130 ouvriers travaillent pour la fève de cacao, voici l’histoire extraordinaire d’un allumeur de réverbères. Inlassablement, tous les soirs, un homme surnommé Cadet, se hisse au sommet des lumières de Bayonne pour amener l’étincelle à chaque bec de gaz. Son vrai nom ? Jacques Damestoy et ce petit gars d’Urcuit est dur à la tâche. Employé le jour dans une chocolaterie de la ville, il travaille aussi quand pointe la nuit.

Un soir, alors que le soleil chavire dans la Nive, Cadet tombe de son échelle. Il git sans connaissance sur les pavés, à l’angle des rues Lormand et du Pont-Neuf, devant le magasin de Madame Cazenave. La patronne de cette chocolaterie déjà bien implantée appelle en urgence un attelage de bœufs pour ramener au plus vite le blessé auprès de ses parents.  « Si tu t’en sors, je t’embauche », lui promet-elle, tandis que s’éloigne le corps inerte de Cadet.

Le lendemain matin, Jacques Damestoy sonne chez Madame Cazenave. Cinq ans plus tard, il est le chef de l’atelier. Plus d’un siècle s’est écoulé et ses descendants ont poursuivi son œuvre, conscients de l’héritage qu’il leur a légué. D’abord Catherine, sa fille, a épousé Armand Pariès et ouvert en 1904 la maison-mère, à Saint-Jean-de-Luz. Leur fils, Robert, homme charismatique, curieux et passionné a inventé le savoureux mouchou[1]. Il a hissé très haut le nom de la famille dans le cercle restreint des entreprises chocolatières qui ont résisté aux crises, à la concurrence de groupes gigantesques et à la grande distribution.

Robert ne souhaitait pas voir le nouveau millénaire ; il s’est éteint sereinement deux jours avant l’an 2000. Il savait que le virus de la famille avait frappé Françoise, sa fille et Alain Girardot, son gendre. En revanche, il ne pouvait pas imaginer que ses deux petites-filles, Céline et Géraldine, deviendraient aussi « totalement » Pariès. La première travaille à la boutique de Saint-Jean-de-Luz et a épousé Alexandre, le chef pâtissier, passé chez Andrieu à Paris et Nicolas Marcolini à Bruxelles. La deuxième a ouvert en septembre 2012 la première boutique à Paris, rue Saint-Placide.

Il n’y a guère aujourd’hui que Mathieu, cameraman, pour tenter de diriger les conversations familiales vers d’autres univers que ceux des délices sucrés. Car tous racontent leur plaisir à sélectionner les meilleurs chocolats de Saint-Domingue, du Venezuela, de Colombie ou de Madagascar. Ils sont intarissables sur les Marcona, ces 30 tonnes d’amandes qu’ils font annuellement venir d’Espagne, car « elles seules sont dépourvues d’amertume ». Ils choisissent les plus beaux fruits pour leurs gâteaux, dans lesquels Alexandre traque les sucres superflus. Le produit d’excellence est leur credo ; le respect de leur histoire une vigie. « Nous devons rester au top et, je vous l’assure, rien n’est jamais acquis », souligne Françoise. La « fille » de la maison a 61 ans ; elle vit depuis l’enfance dans les mouchous et les kanougas, mais reconnait dans un sourire tendre qu’elle doute chaque jour.

Il y a peu, l’atelier a quitté l’étage du vieux magasin de Saint-Jean-de-Luz pour se déployer dans une zone industrielle, à Socoa. C’est ici, dans le royaume d’Alain Girardot, que des vagues incessantes de caramel deviennent Kanougas. Ce bonbon, moelleux au palais, fondant à souhait, dégage instantanément des goûts puissants de café, de noisette, de vanille ou de chocolat. Créé en 1895 par Jacques Damestoy, il a été élu « meilleur caramel au monde » aux Etats-Unis. Suzanne Damestoy, grand-tante de Françoise, se souvient bien de ce grand-père qui tenait au secret la recette du Kanouga. « Régulièrement, nous autres enfants papillotions les friandises dans leur papier scintillant. Pour nous empêcher d’en manger, il occupait nos bouches à des concours de sifflements. »

A présent, une machine découpe ces petits carrés de douceur au laser et l’emballage est automatique. Cette concession faite à la modernité n’a pas encore frappé le mouchou, l’autre spécialité Pariès, une œuvre de Robert qui s’est longtemps souvenu de ses voyages d’études pâtissières en Espagne. Ce macaron tout sucre – le « baiser » en basque – est croquant à l’extérieur, tendre à l’intérieur. Il s’agit de deux petits biscuits qu’un léger bain d’eau rassemble. En été, il s’en fabrique 10 000 tous les jours, vendus dans les boutiques de Saint-Jean, Biarritz, Socoa et Bayonne mais aussi par correspondance. Quotidiennement, des dizaines de boîtes oranges partent pour Paris, l’Espagne, tous les coins de France et même le Japon.

Elles portent toutes le sceau du peintre Ramiro Arrue. « Mon beau-père était son ami et ils se retrouvaient tous les jours au bistrot, au moment de l’apéritif, raconte Alain Girardot. Ramiro Arrue lui a offert cette esquisse qui nous est devenue si précieuse. Elle n’était qu’un rectangle de calque, quelques coups de crayons. Mais quelle délicatesse dans ce dessin ! ». Un temps, elle a disparu du patrimoine familial. Récupérée, elle est désormais exposée au magasin de Saint-Jean-de-Luz.

On peut imaginer que d’autres célèbres gourmandises naîtront dans cet atelier, où la grande majorité des salariés est incroyablement jeune. C’est désormais l’un des défis d’Alain : moderniser les appareils de production pour libérer la matière grise. Et après une séance de dégustation, il faut avouer que le croquant Goxo, une buchette chocolat-noisettes, pourrait bien rivaliser avec les Kanougas de l’ancêtre.

Marie-Luce Ribot, Sud Ouest Gourmand, N°13, juin 2012.
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[1] Muxus en basque qui signifient « baisers »

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