Forts de notre désormais grande expérience, on a décidé de rejoindre le Perche depuis Lannion, le pouce en l’air. Près de la quatre voies qui reliait Saint Brieuc à Rennes, puis Le Mans, Chartres, Paris, on nous a déposé sur un rond-point au milieu de nulle part. On a cru qu’on allait rester coincés là. Il n’y avait quasiment personne. Heureusement, une jeune fille nous a sauvés en nous déposant à Broons. Le lendemain on a opté pour le covoiturage pour rejoindre le Perche.
Le couple qui nous a pris était très bavard, ce qui était pas plus mal parce qu’on avait bien envie de dormir. Ils voyageaient beaucoup pour leur boulot et lorsqu’on a parlé du tour de France côté cuisine, ils étaient très contents de partager leurs expériences : « Il faut goûter dans l’Est, les madeleines de Commercy, la quiche Lorraine bien sûr et la mirabelle, plutôt version liquide d’ailleurs. A Strasbourg, c’est la choucroute. Dans le nord, c’est la fricadelle, la tarte au maroilles, les bêtises de Cambrais. Si vous commandez des frites, il faut prendre le petit cornet parce que le grand peut nourrir six personnes facilement. A Marseille : tapenade et de la bouillabaisse. A Bayonne, bien entendu, il ne faut pas passer à côté du jambon. Dans les Alpes, c’est la fondue. Et l’andouillette de Troyes c’est vachement bon en gratin ! » J’ai pris des notes, hein, parce que bon, on sait jamais, et ils nous ont lâché à la sortie 4, direction Luigny, dans le Perche.
Il ne faisait pas moche mais pas beau non plus. La route était encore détrempée des averses de l’après-midi. On était à quatre ou cinq kilomètres de Miermaigne, notre point de chute pour la nuit. Sous un ciel très étrange, fait de noir et de trous bleus, on a marché. L’endroit était calme et nous n’avons pas croisé grand monde sur la route. La mère de Marine, une amie de Siméa, est apparue au détour d’un virage.
La ferme se situait au fond d’une petite route, bordée d’autres habitations. Elle était superbe. Un grand hangar, un petit corps de logis, de grands terrains. Laurence, la maman, avait un âne, quelques poules, des chats, un « élevage » d’hirondelles. Elle avait également un potager. Elle nous a appris que le Perche se situe entre plusieurs régions : Centre et Basse-Normandie, un bout de Sarthe et Pays de la Loire. Quelque chose comme ça. Pour les spécialités du coin, il y avait la foire au boudin à Mortagne-au-Perche. On a fait un tour du côté de Miermaigne, petit bourg tranquille de 200 âmes. On s’est baladé et il ne s’y passait pas grand-chose en cette fin d’après-midi et nous ça nous allait plutôt bien.
On a découvert au passage le verger conservatoire : un grand verger où l’on peut parrainer un arbre. On s’est paumés au milieu des pommiers et des hautes herbes. On pouvait entendre les oiseaux chanter, le vent dans les feuilles et les chiens au loin. Le ciel était clément et la lumière superbe. Le verger était composé de 200 arbres et tout autant de variétés de fruits entre pommiers et poiriers, aux noms inconnus pour la plupart. La « Patte de loup » et la « Grand-mère » par exemple pour les pommes à couteaux, la « douce Coethligue » ou la « Chevalier jaune » pour les pommes à cidre et la « Cartouflet » pour les poires, pour n’en citer que quelques-unes. Et oui, il existe un nombre incroyable de pommes différentes.
On a repris la route jusqu’à la ferme, sans se presser, pour prendre l’apéro avec Laurence, la mère de Marine, dans son chalet de Noël réhabilité en abris de jardin. Un bon plan dont elle était très contente. On a discuté autour d’un kir percheron, mûres-cidre. Laurence nous a expliqué qu’elle préfère habiter à la campagne, c’est là qu’elle trouve son équilibre. Pour elle on devrait tous habiter à la campagne et profiter de la ville. La région, d’après elle, est du genre morte économiquement.
Avant, dans les villages français, on trouvait des petits agriculteurs, de petites exploitations et tout le monde se retrouvait au marché du coin. « Aujourd’hui les grands céréaliers de la Beauce ont bouffé les petits, dans le coin y a plus grand-chose, pas de boulot et les jeunes se tirent le plus vite et le plus loin possible. Il subsiste encore de petits exploitants, paysans, mais ce sont les derniers, genre d’irréductibles, voués à disparaître ». Laurence achète encore son lait à la ferme pour vingt centimes le litre. Les seuls qui peuvent encore faire vivre le coin sont les touristes, ou plutôt les parisiens. Le Perche est à une heure trente de Paris. « C’est étrange de voir une région se transformer en sorte de résidence secondaire » nous dit elle. Vaincu par le sommeil, je suis allé me coucher.
On dort bien à la ferme ! On s’est réveillé dans la tranquillité du coin. On a fini le pâté de pommes de terre tout en dégustant des œufs au lait, œufs des poules du jardin et lait fermier, c’était très bon. Laurence m’a parlé des plats qu’on ne voit plus trop, dont le lait ribot, du lait fermenté, qu’on trouvait avant partout en Bretagne et la Soubise, une purée d’oignons. En fouillant dans ses vieux livres de cuisine, elle a réussi à retrouver la recette de la soubise que j’ai récupérée sur le champ. J’ai ouvert le coffre de la voiture pour poser mon sac à dos, j’y ai trouvé un lapin mort, tout raide. J’ai été un peu surpris mais elle était très contente. Ce n’est pas tous les jours qu’on trouve du lapin de garenne !
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