Nous sommes arrivés à Poitiers, accueillis par Anne qui avait tout prévu. On a cuisiné avec elle un broyé du Poitou et des macarons. C’est le genre de trucs qu’on mange tout le temps dans le Poitou avec le farci et le tourteau fromagé, un gâteau au fromage cramé au-dessus. Mais ce n’était pas la meilleure période pour venir goûter les spécialités poitevines, il faudrait revenir à Pâques. Le repas de Pâques est une institution d’après elle. On y mange le fameux pâté de Pâques, qui ressemble, si on a bien compris, à celui du Berry.
Escargots poitevins
On s’est promenés le lendemain dans Poitiers qui est une ville étudiante, donc pas au mieux de sa forme en cette période estivale. La ville était belle, on a trainé sur le marché Notre-Dame et sur le bord du Clain. De Poitiers on a rejoint les marais poitevins, « la Venise verte ». On s’est retrouvés à Arçais, au cœur des marais, avec un nombre certain de touristes. En se promenant dans le village, qui était très joli d’ailleurs, on est arrivé sur une place avec un marché. On a croisé une dame qui vendait des escargots d’élevage. On s’est approché pour lui poser quelques questions sur les escargots. « L’élevage se passe dans un parc en extérieur. J’en ai environ 200 que j’alimente en plus de ce qu’il y a déjà sur place. Mais attention tous les escargots ne sont pas bons pour la consommation, on ne prend pas un escargot dans la rue comme ça pour le cuisiner. Il y a des espèces ! » Elle s’occupait d’une espèce entre le p’tit gris et le Bourgogne.
Fruits de mer et matérialisme historique
Pour continuer, on voulait aller à La Rochelle, mais suite à pas mal de galères en stop, on nous a déposé sur l’île d’Oléron, à La Cotinière. C’était un port de pêche touristique au possible. On ne savait pas où dormir et pour tirer le meilleur parti de la situation, tenant compte que c’était dimanche, on a décidé d’aller manger des fruits de mer. Autant se faire plaisir. Deux jeunes filles nous ont conseillé la terrasse de La Pigouille. On a fait simple et efficace : deux plateaux de fruits de mer et une bouteille de Perles Blanches d’Oléron. Le vin avait une odeur de mer et le plateau était massif et délicieux. Les crevettes, langoustines, bulots, huitres, palourdes, crevettes grises et le demi tourteau étaient parfaits. On a fini le repas autour de discussions éparses et volatiles, en suçant les pinces des crabes et en parlant de matérialisme historique, de grandes idées et de petites applications.
Quarante heures sans un vrai repas
Sur une terrasse devant le port, on a rencontré deux jeunes marins pêcheurs avec qui on a fini la soirée et qui nous ont accueillis chez eux. C’était l’occasion de discuter de la pêche. Ils s’énervaient sur les quotas, en France. Par exemple, il n’est pas possible de pêcher plus de 10 ou 15 tonnes de Sole. « Mais les espagnols eux n’ont pas de quotas. Alors ils viennent jusqu’ici, avec d’énormes chalutiers et arrachent tous les fonds marins du coin et tout ce qui s’agite dans la flotte. Pas de distinction, ils prennent tout. Et ils pêchent là, en face. » On leur a demandé comment ça se passait pour eux. 2h du mat’, le bateau part, pour dix heures, parfois seize en mer. Parfois, ils peuvent faire quarante heures sans un vrai repas, et là c’est vraiment dur. Mais c’est un métier de passion aussi. Avant, un des marins du port était libraire à Paris, il a craqué et est devenu marin. A 4h30/5h, c’est le moment de la Criée. Il faut être présent aussi. La pêche, c’est aussi une histoire d’entreprise. Leur grand patron possède trois bateaux. Et puis, il y a l’équipage, quatre matelots en tout. Les matelots sont payés en fonction de la pêche : plus il y a de poissons, plus tu touches. Le tout est réparti entre les membres de l’équipage après la vente. Ça reste encore un cercle fermé mais pas tant que ça. Ils nous racontent aussi que c’est la guerre entre les chalutiers et les fileyeurs : les uns coupant les filets des autres, se marchant dessus pour les poissons, etc. Les quotas sont mal répartis ; plus le bateau est vieux, plus t’as de quotas. « C’est pas logique. Pour acheter un bateau avec quotas ça va chercher dans les 500 000€. Et t’as pas le droit de faire construire un bateau neuf si t’as pas déjà eu un bateau avant. » On a parlé des femmes aussi. Il y a très peu de femmes marins, d’après eux parce qu’elles n’en ont pas envie. C’est dur comme boulot, il y a les odeurs, le travail, les heures. « C’est pas forcément ce qui fait rêver les dames. » Certaines ont essayé, mais sans grand succès.
A la Criée
Ils voulaient bien nous amener à la Criée. On a décidé d’y aller. 4h du matin… ça pique. Malgré tous les réveils, je me suis levé à la bourre. Dans la nuit noire étoilée, j’ai rejoint la Criée, à côté du port. C’était un grand bâtiment carré, au bord de l’eau, où s’activaient des camions blancs du genre transit et des gens en bottes. Une forte odeur de mer entourait la Criée. J’ai retrouvé Siméa et nos deux marins pêcheurs. Ils trimballaient des paniers d’un box jusqu’à un autre endroit. On n’avait pas vraiment le droit d’être là. On entendait le bruit des moteurs tourner inlassablement dans le fond, un ronron tiède et lancinant. Siméa a pu rentrer dans les frigos. Chaque bateau possède un box. Les pêcheurs amènent les marchandises et du box, ça part dans un énorme frigo, le centre de la criée. A l’intérieur, ça passe sur un tapis roulant, les gens achètent et ça repart. Parfois loin.
Ça se passe un peu comme la bourse : il y un écran avec les prix. Si le poisson est bon, on achète. Les bateaux sont connus pour leurs marchandises, on sait en général qu’untel a du bon poisson et qu’un autre du plus moyen. C’est un cercle où tout le monde se connaît plus ou moins. Pour les pêcheurs, il est possible de ne pas passer par la Criée, mais ce n’est pas très judicieux. Si en été la marchandise peut facilement être écoulée parce qu’il y en a peu et beaucoup d’acheteurs, en hiver c’est différent. Avant, le poisson était vendu directement par les marins, mais plus maintenant. La Criée est une entreprise qui prend une commission sur le poisson vendu. Aux abords du bâtiment des camions blancs s’alignaient et des gens en bottes discutaient, fumant une clope par-ci, par-là. Nos deux marins pêcheurs n’avaient pas plus que ça envie de rester, leur job était fini, ils livraient juste la marchandise. Après, ça ne les regardait plus. De toute façon, tout est vendu. On a laissé le frigo géant blanc derrière nous et repris les petites rues pendant que la ville dormait. Je suis allé me recoucher.
Partagez moi !
Vous pourriez aussi être intéressé par
Hospitalité En voyage En voyage
De passage à Bristol
Hospitalité À lire À table
La renaissance des auberges par Victor Coutard et Anne-Claire Héraud
Hospitalité En cuisine