Peut-on imaginer une France où maïs et blé seraient uniquement cultivés avec des ordures ménagères ou des boues d’épuration? L’une des déclinaisons possibles de l’économie circulaire, présentée comme le modèle de demain, s’expérimente dans un champ de la région parisienne.
« On cherche à voir si on peut gérer une parcelle uniquement sur la base de recyclage, en s’affranchissant d’engrais« , explique Sabine Houot, directrice de recherche à l’Inra, les pieds dans la boue à une trentaine de km de Paris dont la proximité est soulignée par la silhouette de la Tour Eiffel au loin. « Cela permettrait de recycler de la matière et limiter la fabrication d’engrais« , explique-t-elle. Illustration parfaite de l’économie circulaire qui, contrairement au modèle linéaire actuel, cherche à ne pas épuiser les
ressources et à contrôler rejets et déchets.
D’autant que « la fabrication d’engrais azotés consomme beaucoup d’énergie, et les engrais phosphatés sont des ressources finies. D’ici 100 à 300 ans, il n’y aura plus de phosphates dans les mines« , insiste la chercheuse. L’expérience « QualiAgro » a été lancée en 1998 par l’Inra et Véolia près de Thiverval Grignon (Yvelines), et doit se poursuivre jusqu’en 2020. Le temps nécessaire pour mesurer les effets cumulatifs des différents apports mais aussi les impacts sanitaires à long terme. Il s’agit de six hectares répartis en 40 parcelles où, en ce jour d’octobre pluvieux, techniciens et ingénieurs récoltent le maïs pour estimer le rendement des divers carrés, analyser les épis, la qualité des sols et de l’eau.
De Précieux lombrics
Certaines parcelles n’ont reçu que du fumier de bovins, d’autres un compost de boues d’épuration — issues du traitement des eaux usées– mélangé à des déchets verts, type feuilles mortes et branchages. Une technique de compost qui concerne désormais en France 30% du flux annuel de boues d’épuration. Encore ailleurs, il s’agit de composts de déchets organiques triés directement par les particuliers (biodéchets auxquels sont ajoutés des déchets verts), ou encore des composts d’ordures ménagères résiduelles, obtenus à partir des mêmes déchets mais triés en aval dans des plateformes où on sépare pots de yaourt des épluchures de légumes.
Et le résultat est probant: « Il n’y a plus besoin d’apporter d’engrais du tout » pour cultiver le maïs, se félicite la chercheuse. Les résultats sont un peu moins bons pour le blé, l’autre culture en alternance. Le champion est le compost de boues d’épuration avec un rendement de 5% supérieur aux parcelles recevant des engrais chimiques.
Un tas d’autres indicateurs sont passés au crible, comme la biodiversité des sols et la présence des précieux lombrics qui sont plus nombreux dans une terre traitée avec des composts de biodéchets, permettant ainsi une meilleure infiltration de l’eau. Mais quel impact environnemental et sanitaire? Les boues sont riches en micro-polluants métalliques, comme le zinc et le cuivre, et les ordures ménagères peuvent contenir de petits résidus de plastique.
Rien d’inquiétant, assure l’Inra. « Les composts sont conformes au critères règlementaires ». Les métaux ne passent pas dans les grains. D’ailleurs, les maïs QualiAgro sont vendus et consommés. Idem pour les contaminants organiques. « Les teneurs dans les sols n’augmentent pas malgré des flux d’apport qui peuvent être importants », précise la chercheuse.
En revanche, des études sont toujours en cours pour les résidus pharmaceutiques. Et pour ne rien oublier: les émissions de dioxyde de carbone et protoxyde d’azote, gaz à effet de serre, vont être mesurées. De ce « laboratoire » sortiront des « scénarios de recyclage » possibles, explique Mme Houot. Mais après, c’est tout un modèle économique qui doit se mettre en place, avec idéalement une proximité entre les sources de déchets et les agriculteurs.
Or, pour l’heure, la réalité n’est pas au diapason de cette agriculture « circulaire ». « Si on recyclait tous les biodéchets et les boues d’épuration » disponibles sur la plaine de Versailles où se déroule l’expérimentation, explique-t-elle, « on ne couvrirait que 15% des besoins d’azote des toutes les
cultures » sur ce territoire.
Claire SNEGAROFF
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