Il est cinq heures, Rio s’éveille. Deux biologistes de la Fondation Oswaldo Cruz (Fiocruz) ouvrent avec soin des petites boîtes devant des maisons de Tubiacanga, en banlieue nord: il en sort des dizaines de moustiques « immunisés » contre la dengue, une maladie tropicale virale.
« On leur a inoculé en laboratoire la bactérie Wolbachia. On lâche ces +moustiques du bien+ pour qu’ils entrent dans les maisons et se reproduisent avec les moustiques sauvages. Leur progéniture ne transmettra plus la dengue » qui peut être mortelle sous sa forme hémorragique, explique à l’AFP le biologiste Gabriel Sylvestre Ribeiro. La bactérie Wolbachia – trouvée dans près de 70% des insectes comme la mouche des fruits – agit comme un vaccin contre le moustique l’Aedes aegypti (vecteur de la dengue), empêchant que le virus de la dengue se développe dans son organisme : il ne peut plus transmettre la maladie », souligne-t-il.
« Nous avons une heure trente pour lâcher 10.000 moustiques vaccinés. S’il fait trop chaud, ils meurent« , ajoute le biologiste de 27 ans qui coordonne, carte en main, le lâcher sur le terrain. Des études montrent que la bactérie Wolbachia est efficace également contre le chikungunya et la fièvre jaune, d’autres maladies transmises par l’Aedes, selon lui.
Des résultats l’année prochaine
Cette année, le Brésil a été le pays le plus touché par la dengue, avec sept millions de cas notifiés. Au cours des cinq dernières années, la maladie a fait près de 800 morts. C’est la première fois qu’un pays d’Amérique latine tente cette expérience déjà en cours au Vietnam, en Indonésie et en Australie, d’où les premiers oeufs d’Aedes aegypti inoculés par la Wolbachia ont été importés au Brésil. Toutes les semaines pendant trois mois ces lâchers de moustique auront lieu. Les chercheurs espèrent obtenir des résultats l’année prochaine quand la plupart des moustiques de Tubiacanga devraient être immunisés et inoffensifs pour la population.
La directrice de la petite école primaire de Tubiacanga, une commune de 3.000 habitants, a été mise à contribution par la Fiocruz pour participer à l’expérience. « Nous avons un piège ici qui attrape les moustiques que les chercheurs étudient ensuite en laboratoire pour voir si leur progéniture est bien vaccinée« , déclare la directrice, Rita Reis Lauria de Almeida. « Nous expliquons aussi aux enfants le bien-fondé de ces lâchers de moustiques pour qu’ils l’expliquent à leur tour à leurs parents« , ajoute-t-elle en montrant des panneaux explicatifs collés sur les murs de l’école.
– Moins cher que les transgéniques –
Cette expérience de la Fiocruz s’ajoute à celle des moustiques génétiquement modifiés et pourra être étendues à d’autres villes et quartiers. Responsable de l’élevage de moustiques vaccinés dans le laboratoire de la Fiocruz, Rafael Freitas affirme que cette méthode a l’avantage d’être « naturelle » – les moustiques ne sont pas transgéniques – et « sûre » car la bactérie n’est pas nuisible à l’homme, ni à la nature. Elle serait également « durable », car elle passe de génération en génération de moustiques, et surtout « à but non lucratif », Fiocruz étant une entreprise publique. Fin juillet, le Brésil a implanté l’usine britannique Oxitec à Campinas (Sao Paulo), avec la capacité de produire 550.000 moustiques Aedes aegypti transgéniques par semaine. Mais la production pourra atteindre jusqu’à 10 millions moustiques par mois.
Ces moustiques, lâchés dans la nature en quantité deux fois supérieure à celle des moustiques non transgéniques, attireront les femelles pour copuler mais leur progéniture n’atteindra pas l’âge adulte et réduira la population de moustiques de la dengue. Mais une ville de 50.000 habitants devra débourser jusqu’à 1,6 million d’euros par an pour bénéficier de cette méthode et 335.000 euros les années suivantes pour le maintien de la population des insectes transgéniques.
Rio de Janeiro, 7 oct 2014 (AFP) Claire DE OLIVEIRA NETO
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