L’étude du Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) qui amène l’Organisation mondiale de la santé à classer en 2015 la charcuterie comme cancérogène pour l’homme a fait la une au niveau planétaire. Chacun y allait de son opinion. « Cochonneries » de Guillaume Coudray, a le mérite de revenir sur le sujet en posant la question la plus simple et la plus importante qui soit dans cette affaire : pourquoi donc au juste la charcuterie fait-t-elle l’objet d’un tel classement ?
Comme tout scandale dans la société du spectacle, celui de 2015 est tombé dans l’oubli. Le bombardement d’infos, avec les cris et les hurlements qui l’accompagnent, nous ont transformés en un peuple de lotophages (peuple imaginaire mentionné dans l’Odyssée d’Homère). Le coupable ne semble pas être le cochon, ni même le gras comme l’inquisition des nutritionnistes et le lobby du sucre le laissent entendre, mais le nitrite de sodium et le nitrate de potassium. Deux substances appartenant à la catégorie des additifs alimentaires, identifiés respectivement sous les codes E 250 et E 252 dans les listes d’ingrédients.
Deux substances qui ont toujours été controversées, à tel point que le nitrite de sodium n’a été autorisé en France qu’en 1964, après 30 ans de discussions acharnées. Il est intéressant de lire à ce propos le texte par lequel l’Académie de médecine rend son nécessaire avis favorable : « Il est évidemment regrettable que l’emploi de nitrate soit entré dans les mœurs des procédés de charcuterie. C’est une méthode que la commission n’accepte qu’avec réticence. ». Et encore, en guise de conclusion sur l’utilisation du nitrite : « cette absence d’avis défavorable n’implique pas pour autant que l’Académie reste favorable à de tels procédés. ». À l’époque la question n’est pas encore celle du cancer mais de la toxicité de ces deux substances. Le nitrite de sodium était même répertorié parmi les substances vénéneuses.
Négationisme
Ce n’est que dans les années soixante que l’on commence à faire un lien entre les deux additifs et le cancer colorectal. Aux États-Unis un grand conflit éclate une décennie plus tard entre la Food & Drug Administration (FDA, agence américaine des denrées alimentaires et des médicaments) et l’industrie. Le Ministère de l’agriculture envisage d’interdire nitrate et nitrite comme additifs alimentaires à horizon du 1er janvier 1982, mais l’idée est enterrée grâce à l’efficace travail des lobbys de l’industrie agroalimentaire. Les techniques utilisées sont celles mises au point par le lobby du tabac, aujourd’hui utilisées par celui du glyphosate : négationnisme (il n’y a pas de certitude) et nécessité d’accepter un risque relatif. Dans le cas de la charcuterie, on brandit la menace de pandémies de botulisme.
L’industrie a bien sûr de bonnes raisons de s’accrocher à ces additifs. Leur pouvoir colorant, d’abord, qui rosit la viande de cochon naturellement grise après cuisson. Leur pouvoir aseptisant, ensuite, qui réduit le risque de contamination bactériologique et limite ainsi les pertes dans la production. Mais, surtout, ils permettent de fortement diminuer le temps de maturation des charcuteries : quelques heures pour les préparations les plus simples, 3 mois pour le jambon sec. Ajoutez à cela qu’ils autorisent plus de compromis sur la qualité de la matière première, et les avantages économiques de leur utilisation deviennent tout à fait évidents. Plus besoin de savoir-faire artisanal : l’activité de salaisonnier devient du simple food processing.
Depuis plus de vingt ans l’AOP jambon de Parme n’utilise plus ni nitrate ni nitrite
L’autre mérite de « Cochonneries », qui se lit comme un polar, est qu’il évite de nous plonger dans la nuit la plus noire où l’on entend seulement la voix des sbires du status quo : « circulez, y’a rien à voir ». Une autre charcuterie existe, nous dit Guillaume Coudray. En France, en Espagne, en Italie mais aussi au Canada et aux États-Unis, des artisans perpétuent des savoir-faire traditionnels. Ils travaillent des cochons sains, bien élevés et nourris, qui ont développé un gras suffisant et de qualité pour favoriser une maturation naturelle qui demande, bien sûr, beaucoup de temps. A plus grande échelle, les AOP jambon de Parme et de San Daniele produisent chaque année 12 millions de jambons sans additif ni conservateur.
Il est à ce propos amusant — autant qu’inquiétant — de lire l’opinion de l’EFSA, l’Autorité européenne de sécurité des aliments, basée à Parme, à propos de nitrate et nitrite : « … [ils] sont nécessaires comme conservateurs dans les produits à base de viande, pour lutter contre la prolifération de bactéries nocives… ». Or, depuis plus de vingt ans que l’AOP jambon de Parme n’utilise plus ni nitrate ni nitrite, aucune pandémie ne s’est déclarée. Si ce qu’il se passe dans la ville qu’ils habitent a échappé aux fonctionnaires de l’EFSA, quelle confiance pouvons-nous faire aux documents qu’ils soumettent à la Commission européenne sur le glyphosate et les OGM ?
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