Culture food A lire (ou pas)
Les semences en questions, les limites du livre militant
Après un demi-siècle de traitements des sols agricoles avec des produits en tout genre, il est urgent de se tourner vers l’agroécologie et de voir toutes les initiatives entreprises pour faire ressusciter les sols d’une mort imminente. C’est la démarche de l’auteure Catherine Flohic, non avec une pioche mais avec ce livre hors genre. Une démarche ambitieuse mais qui se perd entre journalisme d’investigation et ouvrage militant.
« 60% de nos sols sont morts », « La dégradation des terres a atteint un stade critique », « Le déclin massif de la biodiversité menace l’humanité ». Cela fait déjà plusieurs années qu’associations, citoyens engagés et chercheurs tirent la sonnette d’alarme. Catherine Flohic la tire à son tour au travers d’un épais recueil. Les semences en questions. De la terre à l’assiette, présente au fil de longues interviews et de nombreuses photos l’expression de citoyens déterminés et engagés à faire bouger les choses pour des sols agricoles durables et une assiette saine et éthique.
La Semence, la plus petite unité de vie d’un légume.
Vous êtes curieux d’en savoir plus sur la qualité des sols agricoles et la façon dont certains citoyens oeuvrent à les soigner et les assainir ? De découvrir comment des producteurs se battent contre une culture des pesticides héritée de l’après-guerre pour nous offrir le meilleur dans nos assiettes ? L’ouvrage propose des portraits et interviews de belles personnes, engagées, pionnières, reconnues. « Soigneurs de terres », artisans semenciers, maraîchers, artisans boulanger, généticiens… Pour les néophytes, ou ceux qui croient encore que l’avenir se trouve dans les OGM, il faut feuilleter ce livre pour se rendre compte que les semences de demain seront bios ou ne seront pas ou du moins que les alternatives paysannes sont bien là. Néanmoins, le livre monté comme un recueil d’interviews journalistiques, évite de justesse l’inventaire à la Prévert. Sept dossiers (la terre, les graines, les cultures, la distribution, le goût, le maraîcher et le cuisinier, les engagements) et quarante entretiens permettent à l’auteure de donner un large aperçu des pratiques françaises autour des semences « de la terre à l’assiette ».
Entre deux questions, où des formules comme « le silence fragile d’une graine en dormance et le miracle de sa germination » côtoient des expressions crues et brutales comme « l’agriculteur est dans une tradition de viol, de mâle dominateur », on comprend rapidement que la bataille entre agriculture productiviste et initiatives durables est rude et complètement déséquilibrée. Et que cet ouvrage présente un militantisme agricole sans faille… mais pas seulement.
Deux conceptions antagonistes
Car au détour des pages, on peut tomber sur des entretiens d’acteurs de la filière semences beaucoup plus conventionnels. A l’instar de l’interview d’un directeur de relations extérieures et d’une responsable des affaires publiques et des relations presse du Groupement National Interprofessionnel des Semences et des Plants (GNIS). Pour faire plus clair : le gendarme national des semences. Même si parler du GNIS semblait incontournable dans un recueil sur les semences, le format et les questions sont rébarbatifs. Des curricula vitae, l’explication du catalogue du GNIS déniché sur le site internet du groupe, des définitions de termes techniques, des questions systématiquement à charge qui, certainement justifiées pour l’auteur, nous mettent rapidement mal à l’aise. Bref, l’entretien est à bâtons rompus et l’on aurait sans doute préféré rester à la campagne avec notre couple de « soigneurs de la terre » ou bien feuilleter rapidement l’ouvrage pour aller à la rencontre de l’univers de Cyril Dennery, potier-jardinier-cueilleur qui a abandonné le métier d’architecte pour se lancer dans la permaculture.
Plus loin, même logique, même écueil. Catherine Flohic enfile de nouveau sa casquette de journaliste d’investigation pour tenter d’expliquer à la responsable de la communication de Bayer Semences qu’il n’y a pas que la science et qu’il faut croire « au bon sens paysan » pour les semences de demain. Et l’autre de rétorquer que « c’est aussi intéressant la génétique ! » Du bâton rompu au dialogue de sourds il n’y a qu’un pas. Pouvait-on proposer un ouvrage sur les semences sans traiter de ces deux multinationales prochainement fusionnées Bayer-Monsanto ? Probablement pas, mais c’est un dialogue (?) sans issue qui se joue entre la journaliste et le Groupe, et là encore, la ligne éditoriale choisie est peu adaptée au militantisme et au parti pris de l’auteure.
Un pessimisme joyeux
Cet ouvrage pourra être vu comme un concentré de leçons ingénieuses, de transmissions, de partages d’émotions, d’enthousiasme, d’éthique et de sagesse qui invite la parole antagoniste à deux ou trois reprises mais qui lui referme rapidement la porte car, qu’on se le dise, cet inventaire n’est pas là pour faire la part belle à ceux qui prônent la croissance à tout prix.
Finalement, le pessimisme « joyeux » du biologiste Pierre Henri Gouyon résume assez bien la teneur de cet ambitieux ouvrage : « je pense personnellement que tous ces germes-là (agriculture paysanne, bio…) ne prendront vraiment corps que le jour où il y aura une catastrophe… » face à l’insouciance des agrochimistes comme Bayer-Monsanto : « Toutes les entreprises semencières ont leur place, nous ne proposons pas toutes les espèces et pas tous les segments de marchés. Petite ou grande, chaque entreprise semencière a sa place ».
Les semences en questions. De la terre à l’assiette. Catherine Flohic Editions des ateliers d’argol 29,90€ Parution : le 6 juin 2018
Vous pourriez aussi être intéressé par
Portrait Producteur
Christophe Collini, le chasseur de goût
Portrait 3 minutes avec
Juan Ignacio Pereyra : Monsanto, la preuve sur le terrain argentin
Portrait Sortons l'Agriculture du Salon
Philippe Desbrosses : le retour à la terre
Ailleurs sur le web
Mangerons-nous mieux demain ? Catherine Flohic invitée de "On ne parle pas la bouche pleine"
Vu sur : France Culture