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La prochaine révolution des agriculteurs vue par Michel Houellebecq

06.01.19

« Sérotonine », le nouveau roman de Michel Houellebecq paru la semaine dernière a pour personnage principal un cadre contractuel du Ministère de l’agriculture. L’auteur en profite pour plonger dans le malaise profond du monde agricole et y prédit les événements les plus tragiques.

Qui eût cru que nous ayons un jour à parler d’un roman de Michel Houellebecq dans Alimentation Générale? L’auteur qui se retrouve dans la promotion du 1er janvier de la Légion d’honneur pour son statut de star internationale de la littérature française n’a évidemment pas besoin d’une critique de plus, mais il nous était difficile de ne pas sacrifier à l’exercice, tant Florent-Claude Labrouste, le personnage principal de « Sérotonine », évolue dans un monde dont nous vous parlons quotidiennement.

Passons rapidement sur les soixante premières pages du roman où Houellebecq présente presque une caricature de lui-même, une sorte de plagiat ou de resucée de la période des « particules élémentaires », auto-centré sur un personnage dont on a un mal fou à imaginer qu’il ne s’agit pas un peu de lui-même en mode auto-fiction. Sa crise de revival stylistique revient à plusieurs moments dans le roman, avec plus ou moins de bonheur – la scène avec un pédophile était-elle nécessaire?-  mais rien de trop encombrant pour la cohérence de l’ensemble. Labrouste va passer progressivement en 347 pages du statut de légèrement dépressif à suicidaire et nous sommes là dans un registre que Houellebecq maîtrise à merveille : le glissement progressif du pessimisme dans les abîmes insondables de l’humain.

Et au chapitre des facteurs qui contribuent aux échecs sévères et structurels du personnage principal, figure en bonne place la crise de la profession qu’il est sensé soutenir : les agriculteurs. Houellebecq utilise de nombreux éléments bien documentés qui touchent juste, à l’instar de ce dialogue sur les exportations en provenance d’Argentine : « … ces salauds allaient littéralement inonder l’Europe de leurs produits, en plus ils n’avaient aucune législation restrictive sur les OGM, c’est dire si on est mal barrés. « Leur viande est délicieuse … » objectai-je sur un ton conciliant. « S’il n’y avait que la viande … » répondit-il, de plus en plus sombre: les céréales, le soja, l’arachide, l’ensemble des productions fruitières, la viande bien entendu et même le lait: voilà tous les domaines dans lesquels l’Argentine  pouvait faire très mal à l’Europe, et cela dans les plus brefs délais. »

Voilà pour la grande histoire, celle qui met en jeu les grands échanges mondiaux et la politique européenne. Mais la partie la plus sensible de « Sérotonine » est essentiellement portée de manière beaucoup plus intime par un personnage important du roman, un agriculteur issue d’une famille noble qui n’a donc pas beaucoup de problèmes de foncier et dont on va néanmoins assister à la chute. Explication parmi d’autres de Labrouste, toujours aussi rassurant : « … ce qui se passe en ce moment avec l’agriculture en France, c’est un énorme plan social, le plus gros plan social à l’oeuvre à l’heure actuelle, mais c’est un plan social secret, invisible, où les gens disparaissent individuellement, dans leur coin, sans jamais donner matière à un sujet pour BFM. »

On ne vous racontera évidemment pas la scène clef du roman, mais disons qu’un certain rapprochement avec le mouvement des gilets jaunes et des violences qui vont avec est difficilement évitable. « Sérotonine » est triste, sans issue et pousse au bout des situations dramatiques qui sont malheureusement très proche de la réalité. Qu’un romancier de l’importance de Houellebecq s’empare de ces sujets est le signe d’une urgence certaine.

« Sérotonine » de Michel Houellebecq Flammarion 22€

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