Culture food Cinéma
De la pâte de haricots rouges pour philosopher sur la vie
Avant toute chose, comme son (mauvais) titre l’indique, c’est un film japonais. Bien au delà des magnifiques paysages de cerisiers en fleurs ou de la langue, rien de ce scénario ne pourrait en effet être transposé dans un autre pays. Alors, soyons clair, si ce film est chroniqué ici, c’est bien sûr que l’on y raconte quelque chose entre la fourche et la fourchette, mais ce serait bien réducteur, voire insultant pour Naomi Kawaze, sa réalisatrice, que d’aller voir le film pour une simple histoire de pâtisserie à la pâte de haricots rouges.
Présenté à Cannes en ouverture de la sélection « Un certain regard », le film portait alors son titre d’origine, AN, traduction littérale du mot japonais qui désigne la pâte de haricots rouges. Dans AN, la nourriture sert de medium, jusque là tout est cinématographiquement normal. Sauf qu’ici, il ne s’agit pas de repas quotidiens, mais d’une recette et d’un produit unique : le Dorayaki, pâte de haricots rouges tartinée en grosse couche entre deux petits pancakes ronds.
On en trouve partout au Japon, mais comme toutes les recettes simples, il faut que les pancakes soient bons, cuits à la minute et que la pâte de haricots soit à la fois moelleuse, gouteuse et pas trop liquide. Bref, un truc de grand-mère. Et dans le rôle de la grand-mère, on trouve une immense actrice avec un nom de personnage de manga, en la personne de Kirin Kiki, 70 ans dans le film et 73 dans la vie, une bombe de justesse et de finesse.
On comprend assez rapidement que Tokue, le personnage que campe Kirin Kiki, n’est pas à la fête tous les jours et qu’il y a quelque chose de cassé dans son rapport à la vie. Son insistance à vouloir être embauchée à son âge dans la micro pâtisserie mono-produit de Santaro pour lui montrer de quel bois elle chauffe sa pâte de haricots, renvoie à une triste image de la condition des retraités au Japon même si Tokue rie et salue les feuilles agitées par le vent.
Pour la joie, il lui reste effectivement la nature, celle qui permet à ses haricots rouges d’être à la hauteur de ses attentes, une nature qui ne trahit jamais, pour peu que l’on soit à son écoute. Et au chapitre des scènes culinaires d’anthologie, l’écoute des haricots pendant la cuisson est de celles qu’un Pierre Gagnaire ne renierait pas. On passera sur l’économie du projet pâtissier de Santaro : quand c’est moyennement bon, le commerce vivote et quand c’est excellent, ça casse la baraque, merci Tokue, mais rien de nouveau de ce côté là.
Aller voir AN pour la recette de la pâte ne sert pas à grand chose, d’ailleurs on vous la donne : 250 gr de haricots azuki, 325 gr de sucre, 125 gr d’eau, 35 gr de sirop de sucre farine, plus une dizaine d’années de pratique pour arriver à un truc potable. AN est essentiellement un film sur la marginalisation des individus, la solitude et, là encore, on sait que la société japonaise joue une partition qui lui est bien singulière.
Aller voir AN, c’est surtout remonter avec curiosité le fil de l’histoire du personnage de Tokue, au travers des interrogations de Santaro mais aussi de celles d’une cliente bien particulière de la pâtisserie, la jeune Wakana, en rupture de banc de lycée et qui elle aussi, veut jouer à la marge. Trois générations de solitaires qui vont se retrouver autour d’une histoire bien plus grave que la réussite d’une recette, celles des lépreux, marginaux officiels de la société japonaise qui les avait parqué dans des sanatoriums à l’écart de Tokyo.
Et le film bascule ainsi de la petite histoire à la grande histoire sans que l’on y prenne garde, avec subtilité. Naomi Kawase prend son temps, ne bouscule pas le rythme des saisons qui défilent, donne à Tokue l’espace pour déployer ses paroles de sagesse où l’évidence de la nature tient toujours une place de choix.
Les délices de Tokyo, en salle le 27 janvier.
A Paris, on peut déguster des dorayakis à Walaku, pâtisserie traditionnelle japonaise,
33 rue Rousselet – 75007
tél. 01 56 24 11 02
Horaires 12h-19h
Fermé le lundi et le mardi
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