Dans un petit livre où le talent d’observateur le dispute à l’humour caustique, Stéphane Méjanès, fin connaisseur de ce métier peu repéré sur Parcoursup, nous dépeint cette profession de la cinquième dimension: critique gastronomique.
Au moins quatre raisons auraient dû faire que cette chronique ne soit jamais publiée. La première, déontologique, car Stéphane Méjanès fait régulièrement son intéressant sur Alimentation Générale, la deuxième de copinage, qui rejoint la première, car on fréquente un peu les mêmes lascars, la troisième, de copinage aussi, car nous avons la même éditrice, et la dernière, plus éditoriale, car franchement, cher lecteur, est-ce que par hasard, tu n’en n’aurais pas un peu rien à foutre des critiques gastronomiques?
On a passé la tête haute sur les trois premières en lisant « Tailler une plume » parce que connaître un auteur, sauf si l’ouvrage est autobiographique, ne vous renseigne pas beaucoup sur ce qu’il écrit et que nombre de collègues qui s’interdisent de chroniquer les ouvrages de leurs amis journalistes, pratiquent une déontologie de frustration pour eux-mêmes plus que d’attention pour leurs lecteurs. La dernière raison nous a paru en revanche plus sérieuse en lisant la quatrième de couverture. Ce petit ouvrage serait-il exclusivement lisible par le milieu qui va adorer l’effet miroir et va jouer sans fin à coller des noms à la typologie des critiques gastronomiques élaborée par Stéphane Méjanès ?
Le danger aurait été réel si chaque catégorie avait été dépeinte à partir d’un seul personnage et que l’auteur nous ait gratifié d’un « nous avons changé les prénoms ». Le danger aurait également été fort si le carnet de croquis de Stéphane Méjanès avait été en noir en blanc en mode réalisme au couteau ou pire, caricature. Et bien rien de tout ça, cher lecteur qui n’a jamais foutu les pieds dans un restaurant gastronomique, rien que tu ne puisses saisir de personnages parfois balzaciens, parfois sortis de San Antonio, souvent hors du temps quand ils ne sont pas au contraire totalement instagramés. Et au fond, lecteur qui n’a jamais vu un critique gastronomique de près, dis toi que tu n’a jamais vu non plus un anthropologue, un médiéviste ou un sismologue, et que c’est un peu pareil.
Ce sont des types – rarement des femmes- qui vivent autour d’une obsession : penser et analyser ce qu’ils mangent au restaurant et accessoirement porter un jugement de valeur sur les talents du cuisiner ou de la cuisinière. Alors oui, ça façonne des pas plus timbrés que la moyenne des corporations à périmètre restreint, totalement hors-sol pour la plupart d’entre eux et c’est précisément ça qui fait leur charme, leur singularité, leur caractère romanesque. Et Stéphane Méjanès n’a plus qu’à se baisser pour ramasser les morceaux de ce puzzle et les classer minutieusement, à la manière d’un DRH qui chercherait une méthodologie pour recruter le meilleur d’entre eux. Et ce faisant, se rendant compte de la présomption de la tâche, il manie avec talent humour et dérision pour bien montrer que se prendre trop au sérieux ruinerait son ouvrage.
Alors, quand même une petite critique ? Disons plutôt une petite frustration : celle de ne pas avoir mis en perspective le métier de critique en ne posant pas la question de la spécificité de l’objet critiqué comparé à l’art, au cinéma ou au théâtre.
Alors, ami gastronome ou pas, n’hésite pas, tu vas adorer la diva, le stakhanoviste, le pique-assiette, l’incognito, l’influenceur, le glouton, le blasé, le tyran, l’antique et l’ingénu. Et, qui sait?, Stéphane Méjanès te donnera peut-être l’envie de franchir la porte de ces restaurants pour jouer à « On dirait que je serais critique gastronomique… « .
Tailler une plume
Croquons le critique gastronomique
Éditions de l’épure 12€
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