Chronique Tribune

Le Slow fooding n’est pas une mode

18.09.17

Août 2017, je reçois dans ma boite mail, une offre commerciale de Arcane research. L’entreprise vend des études consommateurs dans les domaines de la santé/pharmacie, la banque assurance, l’optique et l’audition, l’habitat, l’hygiène et beauté et l’alimentaire. L’offre du jour est une étude sur le slow fooding, vendue 4 900 euros HT pour 139 pages. Je commence à comprendre que je fais partie d’une liste d’adresses mail référencées comme acteur du Slow Fooding qui a été achetée par Arcane research, je fais donc partie de la liste de diffusion des offres commerciales.

Depuis plus de 30 années le mouvement Slow Food, à travers le monde, tire la sonnette d’alarme sur l’état de la biodiversité, la déliquescence du monde agricole, l’accaparement des terres et des océans, la précarité des artisans de la terre, la disparition du goût, l’anéantissement des sols, le danger des semences hybrides, le bien-être animal, la main-mise des multinationales sur notre alimentation, les conséquences sanitaires pour l’homme, la condamnation des pratiques de distributions. En résumé, le mouvement Slow Food s’oppose depuis 1986 à la dictature alimentaire à laquelle nous faisons face aujourd’hui.

Ce mouvement a engendré et soutenu de nombreuses initiatives à travers le monde pour nous inviter à reprendre notre destin alimentaire, culturel et territorial en main. A part en France peut-être, pays où l’industrie agro-alimentaire règne en maitre absolu sur les orientations agricoles et consuméristes, en faisant croire qu’ils répondent à la sacro-sainte volonté du consommateur et la protection de la santé de celui-ci. Ce mouvement est donc résumé en 139 pages. Pour 4 900 euros HT, vous savez tout sur le Slow-Fooding expliqué aux Nuls. C’est un peu plus cher que la collection habituelle « Expliqué aux nuls » parce qu’en matière d’alimentation vous êtes sensés être très très nuls, donc il ne faut pas lésiner sur la dépense pour être moins con.

Le cynisme devient la règle

Évidemment ce torchon ne m’est pas destiné, le public cible précisé dans le mail d’envoi est : Industrie agro-alimentaire ; Enseignes de la distribution alimentaire ; Enseignes RHD (restauration à thème, restauration rapide, etc.) ; Fournisseurs Food Service, grossistes alimentaires de la RHD; acteurs du marché des ingrédients alimentaires.

Et le cynisme devient la règle, car tous les combats de Slow Food, de Colibri, de Fermes d’avenir, de la Confédération Paysanne, des Civam, de la fondation Emmaüs sont résumés ici : « Opportunités commerciales, territoire d’innovation et de différenciation, offres plus transversales (multi-bénéfices), cibles stratégiques, déployer des positionnements de marque innovants, évaluer les segments de marché, identification des consommateurs distants ou réfractaires et potentiel de conversion » et le meilleur pour la fin : « Insights les plus discriminants entre chaque segment de consommateurs. »

Voici donc résumé en quelques lignes la diarrhée verbale apprise en première année d’école de commerce, donc pas si innovante que ça et qui est sensée adapter l’agro-industrie aux nouveaux marchés. Faites confiance à l’industrie agro et aux grands distributeurs, avec l’aide des grands communicants et lobbyistes du monde, nous allons sauver la planète, mieux vous nourrir. Par contre on a oublié de vous dire, on continuera à engranger les bénéfices et vous serez tous inféodés au grand maitre de l’alimentation. Pour votre plus grand bien évidemment.

La R & D appliquée à l’agriculture paysanne

Finalement ils ont bien fait de m’adresser leur offre commerciale, je ne l’achèterai pas mais je suis sûr que pour pondre des études pareilles, il ne faut pas être très fier de ce que l’on fait ni de celui pour lequel on travaille. Alors j’ ai plein de reconversions à proposer : maraîcher de semences paysannes, artisan semencier, éleveur de races locales, boucher, charcutier, cuisinier, épicier de campagne (eh bien oui ! puisque vous allez être nombreux à retourner à la ferme !), meunier, boulanger, pêcheur ligneur, pêcheur d’algues.

Vous pensez que tout ceci n’est pas bien sérieux et vous n’êtes pas sûr de gagner correctement votre vie ? Détrompez vous, il y a des milliers d’emplois qui vous attendent dans les fermes pour partager le travail avec ceux qui en ont tellement trop. Vous vous dirigez vers une nouvelle vie où les éleveurs, maraichers, pêcheurs… que vous allez devenir doivent réinventer de nouvelles pratiques agricoles. Ce n’est pas autre chose que de la R&D appliquée à l’agriculture paysanne, donc il ne nous reste plus qu’à transférer tous les budgets de R&D de l’industrie vers les paysans « Bon, Propres et justes » et je vous garanti que vous serez rémunérés justement, que vos produits seront accessibles et que l’agro-industrie serra certainement moins compétitive. Mais qu’importe finalement, il y aura toujours de la place pour eux dans une ferme ou sur un bateau.

J’oubliais une chose importante, tout ceci ne sera possible que si nos élus le décident, devra-t-on les forcer à décider ou laissons-nous crever les derniers résistants d’une alimentation « bonne, propre et juste » ?

Illustration Clémence Paillieux

Xavier Hamon est cuisinier et coordinateur de 
l’Alliance Slow Food des Cuisiniers en France.

 

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