Au Québec, c’est devenu une blague. Acheter des œufs frais du jour, du lait cru, du poulet élevé chez le voisin fermier ou même de la confiture artisanale, est parfois plus compliqué qu’acheter de l’herbe hallucinogène. Du gibier sauvage ? Oubliez ça. Ou plutôt, allez frapper chez votre chasseur préféré en secret au milieu de la nuit, faites du troc plutôt qu’un échange monétaire incriminant et ne dites rien de ce scandaleux achat alimentaire sur les réseaux sociaux, on pourrait vous retracer.
Au Québec, comme dans le reste du Canada, on veut votre santé pour autant qu’elle rime avec innocuité, propreté, salubrité, désinfecté, sécurité… On préfère la chasse au risque à la chasse à la perdrix ou à la bécasse. Manger nature, manger cru, manger fermier évoque quasi automatiquement des craintes d’empoisonnement chez les fonctionnaires supervisant la vente de tout aliment. Alors n’essayez pas d’offrir vos chutney maison – le super ketchup aux fruits typiquement québécois – dans votre troquet de campagne, pour accompagner vos « tourtières » tout aussi ancestrales, on enverra des inspecteurs. On ne se méfie jamais assez des dangers que pose une conserve. Surtout à la poire, aux pommes et au vinaigre sucré.
On vous entend, les Européens, rouspéter contre vos règles, vos lois, vos directives alimentaires. On vous voit vous inquiéter de l’industrialisation de votre alimentation, de la perte de vos patrimoines gourmands. Mais rappelez-vous que la vie est un grand verre à moitié vide et à moitié plein, n’est-ce pas ? Et le vôtre, chanceux, est souvent à moitié rempli de charcuteries artisanales, de fromages de laits crus, de bouchées de grives ou de faisan dont on peut à peine rêver ici.
Saviez-vous que la vente de lait cru, par exemple, est interdite au Canada ? La cigarette, avec tous les dangers qu’on lui connaît, est permise. Mais le lait cru, ça, non. On nous en protège. Les fromages de lait cru ? Ça on veut bien, mais encore faut-il les faire vieillir suffisamment, au moins 60 jours partout au Canada, sauf au Québec, où on est un tout petit peu plus, ma foi, téméraires, en tolérant un affinage légèrement moins long pour certains produits bien précis.
L’État ne s’inquiète pas de nous voir manger de la viande industrielle même si les rappels pour causes de salmonelle ou de E. Coli se multiplient. Mais les conserves de sardines françaises au vin blanc ou à la moutarde qui ne correspondent pas précisément aux normes locales, on ne nous laissera pas mettre notre santé en péril avec ça.
Tous les chefs qui viennent au Québec pour cuisiner dans le cadre d’événements spéciaux vous le diront : la réglementation encadrant les produits qu’ils peuvent ou ne peuvent pas apporter dans leurs valises pour préparer leurs spécialités est déconcertante. De plus en plus d’entre eux finissent par faire, malheureusement, ce que tout humain finit par faire quand les règles sont abusives : ils emballent leurs saucissons, leurs radis ancestraux et leur poudre de yaourt dans leurs valises, discrètement. Au diable les bactéries et l’alarmisme !
À table tout le monde.
Au Québec, c’est devenu une blague. Il est probablement plus facile d’acheter la carabine pour tuer une oie sauvage qu’un suprême de ladite bête, plus facile d’acheter de la sauce hoisin venue du fin fond de la Chine que des betteraves marinées préparées dans le village d’à côté.
En Europe, vos législations alimentaires ne sont pas parfaites, mais elles sont quand même plus propices à une gastronomie diversifiée, riche et intelligente. Votre verre est à moitié plein de bons vins bios, de bons jus non pasteurisés, de bon lait cru. Savourez-les à notre santé.
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