Dans un contexte de crise agricole internationale, ces deux cris d’alarme ont retenti à quatre jours d’intervalle. Le samedi 4 avril, ce sont près de 1500 personnes qui ont défilé sur le remblai des Sables-d’Olonne pour dire « non » à un projet de porcherie industrielle. Le mardi 7, c’est Michel-Edouard Leclerc qui, sur son blog, écrivait que la filière porcine se dirigeait tout droit « vers un drame social ».
« Face à la crise, j’affirme que tous les acteurs, responsables ou pas, doivent agir. C’est un impératif social, solidaire. C’est une cause française. » Si, en ce mardi 7 avril 2015, le président de l’association des centres distributeurs Leclerc a pris la plume pour interpeller l’Etat, c’est d’abord pour dénoncer une série d’actions menées par les producteurs de porcs contre ses hypermarchés. Mais pas seulement. Ce cri d’alarme dont Alimentation générale s’est immédiatement fait l’écho, renvoie plus largement à cette réunion d’urgence organisée le 31 mars dernier au ministère de l’Agriculture. Autour de Stéphane Le Foll, une partie des acteurs de la filière porcine est réunie. Ce jour-là, tous n’ont qu’un mal à la bouche : cet embargo russe qui dégrade depuis plusieurs mois leurs activités, notamment à l’export.
Enclenchée en réponse à la condamnation quasi unanime du conflit ukrainien par les Etats européens, cette mesure de blocage des importations porcines fait suite aux différentes mesures de rétorsions financières et diplomatiques prises à l’encontre des proches de Vladimir Poutine. Devenue otage de cette situation géopolitique, et déjà plus que mal en point, la filière française se retrouve aujourd’hui exsangue et, plus que jamais, sous perfusion.
Face à l’urgence de la situation, Stéphane Le Foll et ses équipes décident donc de « la mise en place de cellules départementales, demandées dès le 18 février par les préfets, pour permettre d’identifier les besoins spécifiques de la filière au niveau national ». Dans la foulée, une enveloppe de 4 millions d’euros est dégagée « pour assurer la prise en charge des cotisations MSA (mutuelle sociale agricole) des exploitations les plus en difficulté ainsi que le déblocage de 5 millions au titre du Fonds d’allégement de charges pour l’ensemble des éleveurs de la filière ». Des mesures d’urgence qui n’ont pourtant pas empêché les producteurs de porc breton de mener, lors du week-end de Pâques, plusieurs actions ciblées dans les hypermarchés Leclerc.
« Pas le procès du cochon mais de l’industrialisation »
Ce nouveau mouvement de ras-le-bol des professionnels coïncide avec un autre, plus large, de protestation citoyenne. Dirigé contre le projet de construction d’une porcherie industrielle sur la petite commune vendéenne de Poiroux, il a réuni près de 1500 personnes, samedi 4 avril, sur le remblai des Sables-d’Olonne. « Aujourd’hui, en Bretagne comme en Vendée, nous ne faisons pas le procès du cochon mais celui de l’industrialisation de la filière porcine », explique Yves-Marie Le Lay, président de l’association Sauvegarde du Trégor qui a mené la contestation sur la petite commune de Trébrivan. « Depuis 2011, embraye Sylvie Gourdon du collectif « Non aux usines à cochons », cette ferme usine des Côtes-d’Armor produit 23 000 porcelets à l’année et rejette 5 000 m3 de lisier dans la nature. »
Alors que les éleveurs et producteurs porcins croulent sous les dettes, ne voient pas le bout du tunnel, « ces techniques de production industrielles avancées n’ont plus grand-chose à voir avec l’agriculture, décortique Michel Jolly, porte parole de la Confédération paysanne de Vendée. Non seulement, ce ne sont plus les paysans qui assurent l’exploitation, remplacés qu’ils sont par des ouvriers spécialisés qui travaillent sur des chaînes de production entièrement robotisées mais, en plus, ces fermes usines font disparaître des emplois au lieu d’en créer. » Pourtant, comme à Trébrivan, les porteurs du projet de la maternité porcine de Poiroux sont venus avec des promesses d’embauche. « Quatre emplois directs pour l’encadrement de 890 truies, reprend Michel Jolly, alors que c’est exactement le nombre de personnes qu’il faut sur une exploitation de 200 unités. »
Un modèle agricole qui ne ressemble pas à celui choisi par Elisabeth il y a plus de 20 ans. Ancienne agricultrice de la Loire, cette dernière est venue s’installer en Vendée, en 2011, avec Hugues, son compagnon. « Nous sommes des producteurs locaux, avec des savoirs-faires ancestraux », dit ce dernier, un masque de cochon relevé sur la tête. « Et à l’argument qui consiste à dire que, dans le contexte de crise que nous vivons, ces fermes usines sont indispensables à la filière porcine, nous répondons que les gens qui investissent dans ces projets ne sont pas des agriculteurs et ne mangent certainement pas ce qu’ils produisent », insiste Hugues. « Que les choses soient claires, l’interrompt Elisabeth avant de rejoindre le cortège, les 1500 personnes présentes aujourd’hui aux Sables ne manifestent pas contre les agriculteurs mais contre les actionnaires qui ont décidé de faire du profit sur le dos de toute une filière, sans se préoccuper des conséquences derrière. »
Un projet refusé par la préfecture de Vendée en juin 2010…
En arrière-plan de cette bataille environnementale et sociale se jouant actuellement en Vendée, le groupe Sanders fait figure d’épouvantail. Principal porteur du projet de la maternité porcine de Poiroux, ce groupe industriel est lui-même porté par Avril-Sofiproteol, dont le président n’est autre que Xavier Beulin. « Homme aux mille bras », comme l’ont révélé nos confrères de Reporterre, cet ancien agriculteur du Loiret tient une position centrale dans les multiples réseaux qui irriguent le monde agricole. Notamment depuis qu’il dirige la toute-puissante FNSEA.
Premier syndicat agricole de France, la FNSEA a longtemps été dirigé par le vendéen Luc Guyau et compte, aujourd’hui, parmi ses vice-présidents, Joël Limouzin, ancien président de la FDSEA de Vendée, fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles dont l’actuel vice-président n’est autre qu’Edouard de La Bassetière, également maire de Poiroux. « Une situation de conflit d’intérêt », pour Christine Coquenlorge qui rappelle que « suite à l’enquête publique lancée en novembre 2009, l’ensemble du conseil municipal de la commune s’est prononcé contre l’implantation de cette ferme usine. » Et cela, malgré l’engagement pris par le maire de faciliter l’implantation de cette porcherie industrielle sur les terres de Poiroux. « Un refus qui sera d’ailleurs acté en juin 2010 par Jean-Jacques Brot, alors préfet de Vendée », détaille cette habitante de la commune, également membre de la Fédération écocitoyenne de Vendée.
… Puis validé par la préfecture de Vendée en novembre 2013
Une décision que conteste le porteur de projet auprès du tribunal administratif de Nantes qui lui donne raison au motif « d’un arrêté de refus mal argumenté ». A partir de cette décision, les choses stagnent, jusqu’à ce mois de novembre 2013 où Jean-Benoît Albertini, nouveau préfet de Vendée, signe l’arrêté d’autorisation de la ferme usine de Poiroux. Reste aux services de l’Etat à délivrer le permis de construire. Ce qui sera chose faite après les élections municipales de mars 2014 où une nouvelle équipe de conseillers décide de valider le projet. Selon la loi, les opposants à la maternité porcine avaient un an pour attaquer l’arrêté préfectoral d’autorisation de construction. Et, malgré les premières tranchées creusées sur le site d’exploitation en mars dernier, le collectif « Non à l’usine à cochons de Poiroux » veut maintenir la pression. « Si nous manifestons aujourd’hui, raconte encore Christine Coquenlorge, c’est bien pour dénoncer cette stratégie de colonisation des industriels sur l’agriculture. Ces grands groupes sont obligés de quitter la Bretagne et cherchent donc de nouvelles terres où s’implanter. »
De la Bretagne à la Vendée, les opposants du projet craignent un scénario fait d’algues vertes et de pollution des cultures à l’azote entraînant, au final, la destruction des filières ostréicole et touristique du pays des Olonnes (ce bassin de vie regroupe les villes des Sables-d’Olonne, d’Olonne-sur-Mer, du Château-d’Olonne et de l’Ile-d’Olonne, ndlr), deuxième destination estivale française derrière les plages du Var. Car, avec un rendement de 23 000 porcelets à l’année, la ferme usine de Poiroux ne pourra faire autrement que de déverser des milliers de mètres cubes de lisier dans la nature. « On parle d’un peu plus de 7 000 m3, détaille Jacques Jutel, le président de l’association Terres et rivières. Ce qui représente environ 20 tonnes d’azote pur épandues sur les cultures. » Une pratique certes courante mais extrêmement polluante. A la différence du fumier – matière organique fertilisante issue du mélange de déjections animales et de la paille qui a servi de litière au bétail – le lisier est un déchet agricole principalement produit par les élevages de porcs. « On l’utilise comme engrais organique, développe Michel Jolly, de la Confédération paysanne, alors qu’il pose un sérieux problème d’élimination dans le cas d’élevage hors-sol concentrés dans un faible périmètre. » Là où le fumier nourrit les sols et permet à la plante d’aller chercher les éléments dont elle a besoin, le lisier, lui, fonctionne comme une perfusion, empêchant sur le long terme les sols de se régénérer.
Ainsi, malgré la promesse faite « d’études d’impact environnementales et sanitaires satisfaisantes » par les associés au projet, le collectif « Non à l’usine à cochons de Poiroux » craint de voir le remblai des Sables-d’Olonne se transformer, un jour, en baie de Saint-Brieuc ou en plage de Saint-Michel-en-Grève : recouvert de tonnes d’algues vertes. A tel point que les opposants au projet de ferme usine se voient rejoints par des soutiens pour le moins inattendus. « Vous imaginez bien que défiler aux côtés d’Attac ou de la Confédération paysanne n’est pas ma tasse thé », lance Yannick Moreau, député-maire d’Olonne-sur-Mer. Aujourd’hui encarté à l’UMP, l’élu a fait ses classes politiques auprès de Philippe de Villiers. S’il est présent dans le cortège « c’est pour pointer cette incohérence qui veut que l’Etat doit trouver des milliards d’euros pour répondre aux injonctions de l’Europe lui demandant de régler le problème agricole breton tout en permettant la création de telles fermes usines en Vendée. Créant un futur problème agricole vendéen, là où il n’y en a pas encore ».
Photos : Philippe Bertheau
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