Analyse Pandémie

Pour des étudiants confinés en cité U, la « faim » passe avant le virus

03.04.20

Ismaël soupèse un sac de courses, c’est jour de fête: « si je peux tenir la semaine avec, c’est déjà pas mal!« . Confiné en Cité U près de Bordeaux, cet étudiant privé de petit boulot par la crise sanitaire, va pouvoir remplir son frigo grâce aux tournées d’un collectif monté dans « l’urgence« .

« Je suis intérimaire et là je n’ai plus de missions, je fais avec le peu que j’ai« , confie à l’AFP Ismaël Guindo, doctorant en droit à Bordeaux, qui ne pouvait pas rentrer en Côte d’Ivoire. Il a fait ses comptes: « 60 à 70% » en moins dans le portefeuille. Selon le Crous, entre 1.500 et 2.000 étudiants comme lui seraient confinés dans leur logement U sur le plus gros campus de Bordeaux, une mini-ville désormais fantomatique à l’heure du confinement. Dans cette zone périurbaine bordée par les vignes et la rocade à Pessac, Talence et Gradignan, Resto U, cafet’ et associations étudiantes ont fermé. Et « ici, il y a peu de commerces, les supermarchés sont loin, ce qui aggrave la situation d’isolement » des plus précaires, explique Yannis, 27 ans, doctorant en philosophie et bénévole pour le collectif citoyen « Solidarité-Continuité alimentaire Bordeaux » monté dans « l’urgence » autour d’un noyau dur de militants contre la réforme des retraites.

À la veille du confinement, « on s’est dit qu’il y aurait un problème: certains n’auront plus leur job en restauration, d’autres ne pourront pas rentrer chez eux« , comme nombre d’étudiants internationaux, résume l’un des initiateurs, enseignant-chercheur en informatique qui veut rester anonyme. De fait, depuis la diffusion du formulaire de contact, le collectif croule sous les demandes, 700 en 15 jours. « Même si on connaissait l’état de la précarité étudiante, on n’imaginait pas en arriver là. On serait presque à dire que certains ont eu plus peur de mourir de faim que du virus », comme ce jeune « qui n’avait pas mangé depuis 48 heures« , affirme Yannis.

– Pas « abandonnés » –

Ce mercredi, dans un local prêté par l’université de Bordeaux, cinq bénévoles – tous masqués et passés à l’étape gel désinfectant – s’activent pour remplir à la chaîne les quarante colis à livrer. A l’intérieur: conserves et gel douche – préalablement nettoyés à la lingette -, féculents, café, papier WC, lessive mais aussi serviettes menstruelles et 5 copies d’autorisation de déplacement, « pour ne pas se mettre en danger« . Pas de périssable, « compliqué« , ni de gel hydroalcoolique, « trop rare!« . Pour limiter les contacts, trois équipes différentes se relaient pour les courses, la préparation des colis et la distribution, surtout dans les cités U, où se concentrent « les plus précaires« .

Et le portage se fait au pied de l’immeuble, un étudiant à la fois. Dans les messages, « on tombe sur des surprises« , assure Natacha, une bénévole. Entre des doléances pour un « wifi stable » et les « soucis d’ordinateur« , des appels à l’aide aussi: « urgent plus rien à manger« . La distribution est financée par une cagnotte en ligne Leetchi qui cumulait 36.500 euros jeudi mais le collectif craint « de ne pouvoir tenir jusqu’au bout du confinement« . « On fait une aide d’appoint mais ce n’est pas à nous d’assurer une logistique d’ampleur« , souligne Yannis qui attend plus de « réactivité » de la part des autorités.

« Le Crous n’a pas abandonné les étudiants, on se met en ordre de marche et on invente au jour le jour« , répond le directeur général Crous pour Bordeaux-Aquitaine, Jean-Pierre Ferré, qui salue par ailleurs une initiative « bienvenue« . Selon lui, 70.000 euros d’aides « sur évaluation sociale » ont été attribués depuis le confinement à 500 étudiants, auxquels s’ajoutent 60.000 euros en bons d’achats, en cours de distribution et des portages de colis alimentaires en lien avec la ville de Bordeaux et la Banque alimentaire. « La difficulté est d’arriver à capter les étudiants qui n’ont pas forcément le réflexe de se tourner vers nous« , constate toutefois Anne-Marie Tournepiche, vice-présidente « Vie étudiante » à l’université qui s’est également « adaptée » avec des coups de pouce financiers pour s’alimenter ou « réduire la fracture numérique« . Depuis quelques jours aussi, l’Espace santé étudiants a « doublé » ses permanences téléphoniques de suivis médical et psychologique. Au bout du fil, beaucoup d’appels d' »anxiété« .
Par Nathalie Alonso pour AFP

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