Analyse UN OEIL SUR LE MONDE

Menace aux États-Unis pour les travailleurs agricoles précaires

01.04.20

Entassés dans des dortoirs, travaillant dans la promiscuité, sans masques, les travailleurs agricoles qui nourrissent les États-Unis durant la pandémie de coronavirus sont particulièrement exposés à la maladie, mais ces journaliers n’ont pas le choix: sans travail, pas de salaire.

Quelque 2,4 millions d’hommes et de femmes travaillent dans les exploitations agricoles aux États-Unis, où les trois quarts de la population sont à ce jour soumis à une forme de confinement. Mais comme les infirmières, les policiers, les pompiers ou les employés de supermarché, leur activité est considérée comme « essentielle ». C’est un « travail et des conditions de vies très pénibles » que peu d’Américains acceptent, soulignent les ONG s’occupant de leur sort. Au moins la moitié des ouvriers agricoles du pays sont des étrangers en situation irrégulière, souvent issus d’Amérique latine, qui passent de longues heures à ramasser fruits et légumes dans le froid ou sous un soleil brûlant sans pouvoir espérer mieux que le salaire minimum.

Certains vivent dans des campements pouvant rassembler jusqu’à 200 ouvriers dans des conditions sanitaires précaires, d’autres s’entassent dans des appartements à trois ou quatre familles, et ils se déplacent généralement dans des bus bondés: autant de facteurs propices à une propagation fulgurante du virus. Pour les sans-papiers, l’absence de sécurité sociale et la peur de la police de l’immigration rendent encore plus difficile l’accès aux soins. Syndicalistes et associations s’alarment pour ces malheureux qui sont non seulement très exposés au Covid-19, mais n’ont pour beaucoup reçu aucune information sur les modes de contamination du coronavirus ou les moyens de s’en prémunir, encore moins un quelconque équipement de protection. « Ils vont souvent travailler avec de la fièvre, de la toux ou un autre symptôme du Covid-19« , relève Erik Nicholson, vice-président du United Farm Workers of America (UFW), premier syndicat d’ouvriers agricoles des Etats-Unis. « Leur réalité quotidienne, c’est que s’ils ne travaillent pas, ils ne sont pas payés, et s’ils ne sont pas payés ils n’ont aucun moyen de nourrir leur famille et de payer leur loyer« , déclare-t-il à l’AFP.

Les oubliés de la pandémie

Qu’arriverait-il si l’épidémie décimait les ouvriers agricoles? « Si vous les mettez dans un bus et que l’un d’eux est infecté, c’en est fini de votre main d’oeuvre« , avertit David Still, directeur de l’Institut de recherches agricoles de l’université de Pomona. Et « si 10, 20 ou 30% des ouvriers manquent à l’appel, cela va créer un énorme problème pour l’approvisionnement » en vivres, insiste-t-il. La Californie, considérée comme le potager des États-Unis et où l’agriculture représente environ 5% du PIB (trois fois plus qu’en France), n’ose même pas y penser.

« Les ouvriers agricoles sont une composante vitale » de l’approvisionnement en nourriture de l’État, et bien au-delà, estime Steve Lyle, porte-parole du département de l’Agriculture de Californie. Selon lui, les employeurs en ont bien conscience. « Les producteurs de la filière agro-alimentaire ont renforcé les mesures de sécurité depuis le début de la crise sanitaire » et ont introduit des « règles de distanciation sociale dans les champs et sur les lignes de production« , dit-il à l’AFP. Certains exploitants californiens ont même adapté leurs procédures pour limiter les risques de contagion, comme Ellen Brokaw l’a fait dans ses vergers du comté de Ventura. « Notre but, c’est de garder nos employés en sécurité pour qu’ils puissent continuer à travailler, à moins qu’ils ne soient malades ou doivent rester chez eux pour garder des enfants ou un malade« , a-t-elle déclaré à un journal local. Tous les patrons ne sont pas aussi prévenants, selon les adhérents interrogés par le syndicat UFW, qui pour la plupart n’ont reçu ni information ni consignes sur le coronavirus. « Je pense que nous sommes les plus vulnérables, les oubliés » de la pandémie, a déclaré un ouvrier agricole, Juan Guerrero, à la chaîne Univision.
Par Javier Tovar pour AFP

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