Analyse

L’accélération des commandes de courses via Deliveroo ou Uber Eats et ses conséquences

01.04.20

Plus de sauce tomate? en plein confinement, plusieurs enseignes de grande distribution proposent de livrer des courses via Deliveroo ou Uber Eats, un moyen de se diversifier mais qui n’est pas sans conséquences pour les livreurs, souvent sans protection face au coronavirus.

Solide carrure emmitouflée dans une parka kaki, Greg fait les cent pas en face d’un restaurant parisien qui vend à emporter. Livrer un plein de courses plutôt qu’un repas sur son scooter? « Ceux qui sont en vélo vont galérer« , observe-t-il. « Mais pour nous ça ne pose aucun problème« . Un objet lourd, « on peut le mettre entre les jambes« , montre-t-il. « A la rigueur, nous ça nous fait un client en plus« . Uber Eats et Carrefour ont annoncé mercredi un partenariat visant à livrer rapidement à domicile une centaine de références des magasins du distributeur, à partir du 6 avril. D’abord proposé à Paris et en proche banlieue (Saint-Mandé, Chatillon ou Boulogne-Billancourt, selon Uber), le service « sera rapidement déployé à l’échelle nationale« .

« Part de paillasson »

« La faculté d’être livré à domicile en 30 minutes permet de respecter plus pleinement encore le confinement« , explique à l’AFP Amélie Oudéa-Castéra, directrice exécutive e-commerce, data et transformation digitale de Carrefour. En outre, « s’appuyer sur l’agilité d’Uber Eats et la largeur d’audience de son application permet de démultiplier l’accès aux Français« , en plus des autres services déjà proposés par le distributeur. Mi-mars, c’était Franprix (groupe Casino) et Deliveroo qui avaient annoncé un renforcement de leur collaboration, ajoutant à la centaine de références déjà disponibles la possibilité de livrer surgelés, produits d’entretien, produits d’hygiène ou pour bébé. Dans les deux cas, les discussions avaient débuté en amont mais le confinement à domicile, décidé le 17 mars pour tenter d’endiguer la propagation du coronavirus, a accéléré le mouvement. Pour les grandes surfaces, « le sujet de la livraison à domicile, que ce soit de colis ou de repas, devient extrêmement important en milieu urbain« , contextualise pour l’AFP Yves Marin, expert du secteur au sein du cabinet Bartle.

Si les grandes surfaces se sont diversifiées, « via le drive en voiture ou piéton« , la « part de paillasson« , celle que se disputent les entreprises en contact direct avec le consommateur devant sa porte, « est en train de leur échapper« , poursuit le spécialiste. « Il faut aller chercher l’argent là où il est, et une partie de cet argent ne vient plus dans les supermarchés« . A fortiori en période de confinement.

« Contacts dangereux »

Quelles conséquences pour les livreurs? « Ce serait bien si les supermarchés se limitaient à des courses de première nécessité, mais j’en doute« , s’inquiète Arthur Hay, du syndicat des coursiers à vélo de la Gironde. L’annonce intervient en outre au moment où certains collectifs réclament, pour des livreurs que l’activité rend particulièrement exposés aux risques de contracter et transmettre le coronavirus, un droit de retrait avec une indemnisation. « Aujourd’hui, vu la baisse d’activité, les livreurs sont obligés de multiplier les courses pour s’en sortir, et donc les contacts dangereux« , rappelle Arthur Hay. « Pour la plupart, ils n’ont ni gel, ni masques. Deliveroo rembourse un forfait de 25 euros mais on ne trouve pas le matériel, alors ça ne veut rien dire« . « S’il s’agissait d’organiser la livraison pour des gens qui ne peuvent pas se risquer à faire leurs courses, très bien, mais si la livraison repose sur des auto-entrepreneurs surexploités, c’est un acte de précarisation« , rebondit Jérôme Pimot, du collectif des livreurs autonomes de Paris (Clap).

Outre le risque d’exposer les livreurs pour des besoins pas toujours essentiels, peut-on leur faire transporter sur le dos des kilos de pâtes ou des packs de lessive? La communication d’Uber assure à l’AFP que les livreurs ne porteront pas plus de 7 kg. En cas de commande excédant ce poids, elle sera partagée entre plusieurs livreurs, sans surcoût. Ces partenariats devraient en tout cas survivre à la période de confinement. Carrefour souhaite développer celui avec Uber Eats à l’étranger, explique Amélie Oudéa-Castéra. En outre, le groupe souhaite « épaissir dans la durée cette relation, et progressivement y intégrer plus que des courses du quotidien avec des livraisons de repas, qui peuvent aujourd’hui être préparés dans nos supermarchés« .
Par Corentin Dautreppe et Marie-Pierre Ferey pour AFP

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