Analyse Europe
L’étiquette nutritionnelle : un jeu de pistes désormais européen
Sel, pas « sodium ». Huile de palme, pas « graisse végétale ». L’Europe veut obliger les industriels à parler clair sur l’emballage des aliments mais le règlement qui entre en vigueur samedi est déjà dénoncé comme une occasion ratée.
L’Inco, « Règlement relatif à l’information sur les denrées alimentaires », entrera en vigueur progressivement jusqu’en 2016 sur tous les produits pré-emballés, afin d’encadrer les mentions et valeurs nutritionnelles obligatoires. Pour la plupart des détracteurs, un feu tricolore ou tout autre code couleur aurait simplifié l’information du consommateur, mais l’idée a été écartée par les trois années de lobbying et de négociations entre la Commission à Bruxelles, le Parlement européen et l’industrie agroalimentaire. Celle-ci défend un vrai travail, « qui garantit une lisibilité renforcée et de vrais progrès, comme la mise en évidence des allergènes« , juge Camille Helmer, responsable des Affaires réglementaires à l’Ania, l’association des industriels du secteur.
Elle cite la taille minimale des caractères figurant sur l’étiquette nutritionnelle, au dos du paquet (1,2 mm): « Celle du Journal Officiel est inférieure« , note-t-elle (mais on ne l’achète pas non plus en supermarché et la Commission avait demandé 3 mm). Ou la mise en évidence de 14 allergènes, de fait unanimement saluée. Comme la mention d’une congélation/décongélation. Elle fait également valoir les nouveaux tableaux de valeur: ceux déjà présents sur plus de 80% des emballages portaient sur les lipides, protéines, glucides et calories. Ils comporteront dorénavant aussi les teneurs en acides gras saturés, sel et sucre. Et on parlera de « matières grasses » pour être bien compris du consommateur. Chaque valeur sera exprimée pour 100 grammes ou 100 millilitres, de façon homogène.
« Beaucoup de propositions de la Commission ont été conservées et adaptées aux attentes et aux enjeux de l’industrie« , soutient Camille Helmer. « On peut être critique, mais c’est un compromis. Un juste milieu entre les exigences des institutions et les attentes de l’industrie. » Mais, pour l’ONG allemande Foodwatch, l’un des spécialistes de la dénonciation des fraudes alimentaires, « on ne sera pas mieux informé que par le passé. Ce règlement permet à l’industrie de poursuivre sur la voie des petites ruses légales bien planquées« , accuse sa représentante Ingrid Kragl.
Un vrai jeu de piste
« On ne sait toujours pas si les animaux sont nourris aux OGM, une demande forte pourtant« , cite-t-elle. Ni l’origine de la plupart des produits – dont la viande transformée. Elle regrette que l’industrie ait refusé l’étiquette nutritionnelle sur la face des paquets, la renvoyant « en petit au dos ». « D’autant qu’elle a toujours droit aux visuels trompeurs: de belles fraises sur la boîte même si le produit fini n’en contient qu’une infime quantité. » Le fabricant conserve le droit de mettre en avant une teneur en sucres ou en gras sur la base des « apports journaliers recommandés », pas toujours très clairs ou de clamer le nombre de calories « par portion », dont il définit lui-même la taille.
Quant aux feux tricolores, pourtant plébiscités par 80% des consommateurs (étude Nutri-Net Santé de l’Inserm), mais jugés « simplistes » par l’industrie, ils auraient « favorisé la comparaison entre les marques« , estime-t-elle. Même regret de l’UFC-Que Choisir: « On réclamait un étiquetage lisible, aujourd’hui c’est un vrai jeu de piste« , déplore Olivier Andrault, chargé de mission Alimentation de l’organisation de défense des consommateurs.
« On a plus de 40 informations chiffrées sur un paquet! Ce n’est pas au consommateur d’acquérir une expertise compliquée pour comprendre mais aux autorités d’expliquer. » « Une étiquette simplifiée assortie d’un système de couleurs permettrait d’identifier le bon produit. Avec un système en 5 couleurs, on trouvait facilement le meilleur choix nutritionnel parmi les produits déjà proposés dans pratiquement chaque famille, même les céréales et les charcuteries« , affirme-t-il.
« Il ne s’agissait pas d’interdire certains produits mais de dire, +Attention! C’est riche et gourmand, ne pas abuser+« , insiste-t-il. « Mais le lobbying acharné de l’Ania l’a empêché. Alors que le vrai problème de l‘alimentation c’est son déséquilibre et que 90% de notre assiette est constitué d’aliments transformés. » Pour lui, c’est là « la grande occasion manquée du règlement Inco: tout ça pour ça, on a envie de dire ».
Anne CHAON pour AFP
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