Analyse Économie

Jorge Paulo Lemann, l’empereur brésilien de l’alimentation

27.03.15

Une demande chinoise, un pouvoir d’achat national en hausse et des terres et main d’oeuvre bon marché ont permis la montée en puissance à l’international des géants de l’alimentaire brésilien, même si des nuages économiques se profilent.

3G Capital, le fonds d’investissement du milliardaire brésilien Jorge Paulo Lemann vient d’orchestrer une gigantesque fusion entre les géants Heinz et Kraft Foods. Elle donne naissance à la 5e entreprise mondiale de l’agroalimentaire, spécialisée dans les condiments, fromages à tartiner et cafés solubles. Le fonds détient 51% du nouveau groupe, avec son partenaire le milliardaire américain Warren Buffett. A la mi-mars, c’est le groupe brésilien JBS, leader mondial de la viande, qui est devenu la deuxième entreprise alimentaire au monde après Nestlé, grâce à une intense stratégie d’acquisitions à l’international. Même chose pour le mastodonte du poulet BRF, premier exportateur mondial, qui a inauguré en novembre une usine à 130 millions d’euros à Abou Dhabi. Malgré des profils différents, ces groupes ont un point commun: « en l’absence de subventions, comme en Europe ou aux Etats-Unis, (ils) ont eu l’obligation d’être efficaces, sous peine d’être expulsés du marché« , souligne le juriste Andre de Aruda Sampaio. « Le bas prix de la terre et de la main d’oeuvre constituent d’importants avantages comparatifs pour l’agroalimentaire brésilien« , complète l’économiste Maria de Albuquerque David, professeure à l’Université publique de Rio.

« Les barrières se sont levées »

« Il y a quelques décennies, nous vivions dans un Brésil avec peu de libertés, en raison de la dictature militaire. Nous avions le ‘complexe tupiniquim’, celui de l’amérindien qui ne sort pas trop de sa plage. Mais avec la démocratisation et la fin de l’opposition est-ouest, ces barrières se sont levées« , décrit l’économiste Gilberto Braga. Jorge Paulo Lemann, l’homme le plus riche du Brésil a ainsi posé les bases de son empire dans le monde de la boisson : fruit de fusions successives, AB InBev brasse aujourd’hui environ 20% de la bière de la planète avec des marques comme Stella Artois, Corona ou Budweiser. Le fonds 3G Capital a ensuite englouti la chaîne de fast-food Burger King, le groupe Heinz puis la chaîne de cafétérias canadiennes Tim Hortons. Les entreprises contrôlées par les trois associés du fonds valent au total 260 milliards de dollars. Dopé par la demande chinoise de viande ou de soja, dont le Brésil est le second producteur mondial, ainsi que par le pouvoir d’achat accru des Brésiliens, l’agroalimentaire national a développé d’importants excédents. « Si l’agrobusiness est aussi dynamique c’est qu’il joue sur les deux tableaux : le Brésil et les exportations, en délaissant le moins attractif selon les périodes« , souligne Maria de Albuquerque David. BRF exporte du poulet vers 110 pays et possède dix autres installations industrielles en Argentine, aux Pays-Bas et au Royaume Uni. Né d’une boucherie du centre du pays, le groupe JBS réalise aujourd’hui 80% de ses recettes à l’étranger, de l’Australie aux Etats-Unis. Il est détenu à 25% par la banque publique d’investissement.

« Moment critique »

Ces mastodontes risquent-ils un destin à la Eike Batista, ce magnat brésilien du pétrole tombé en faillite en quelques mois ? « Il n’y a aucun risque. Batista était un vendeur de rêves, avec des projets immatures. Dans l’agroalimentaire nous parlons d’entreprises établies depuis longtemps, avec de l’expérience et une connaissance profonde de leur marché« , assure Gilberto Braga. Mais d’autres problèmes menacent. Endettement élevé, économie brésilienne en berne, baisse des prix des matières premières, coût du transport prohibitif, investissement coûteux en raison des taux d’intérêt… autant d’éléments qui peuvent enrayer la machine. « C’est un moment critique, où nous allons voir si ce sont réellement de bons gestionnaires« , prédit Maria de Albuquerque David. « 3G Capital a fait des coupes drastiques dans les dépenses et rationalisé la production. Peut-être que les géants de la viande vont faire la même chose« . JBS a annoncé, début mars, qu’il n’envisageait aucune acquisition en 2015.

Hélène SEINGIER pour AFP

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