Analyse Filières

Exsangues, des producteurs laitiers jettent l’éponge, via Le Bon Coin

05.03.16

« Vends droit à produire, 300.000 litres, 220 euros la tonne ». Depuis plusieurs mois, ce genre d’annonce se multiplie sur le site internet Le Bon Coin émanant de producteurs de lait frappés par la crise qui sévit dans la filière où ces transactions inquiètent des responsables syndicaux. À quelques heures de la clôture du Salon de l’agriculture 2016, le procédé témoigne de la situation de désespoir de nombre d’entre eux.

« On est dans une situation de +Sauve qui peut+« , témoigne Michel, 55 ans, dont le contrat de 400.000 litres avec un industriel est en vente depuis déjà plus de 8 mois. « J’allais droit dans le mur« , justifie cet homme, qui tient à garder l’anonymat. « Si on décide de vendre, c’est que le prix du lait est tellement bas qu’on ne s’en sort plus« , témoigne de son côté Nathalie, productrice en Normandie. Depuis plusieurs semaines, nombre de producteurs manifestent leur colère, assurant qu’ils travaillent à perte, leur prix de vente étant inférieur à leur coût de revient. Pour Nathalie et son mari, la page du lait va se tourner: ils ont décidé de céder leur contrat, portant sur 250.000 litres par an. Lui va continuer dans la viande. « Et moi, j’irai chercher du travail à l’extérieur« , confie Nathalie, 42 ans, installée depuis 15 ans dans l’Eure.

Un contrat avec prix indéterminé

La mise en place d’un contrat -un droit à produire- entre un producteur de lait et un groupe industriel qui le transforme en produit fini, a été instaurée par la loi de modernisation de l’agriculture de 2010. Dans le contexte de la fin des quotas laitiers, il s’agissait de formaliser une relation commerciale durable, avec un double enjeu: « stabiliser le revenu des producteurs en leur assurant par contrat un débouché pour leur lait, tout en garantissant aux entreprises de transformation un approvisionnement ajusté à leurs débouchés », souligne un rapport de décembre 2015 du Conseil général de l’alimentation et de l’agriculture. Reste, explique-t-on à la FRSEA de l’Ouest, que si la durée du « droit à produire » et le volume à livrer sont déterminés, le prix lui, ne l’est pas. Or le prix, revu mensuellement, est depuis plusieurs mois orienté à la baisse, conséquence, entre autres, de la surproduction européenne et de la fermeture de certains marchés internationaux. De 365 euros les 1.000 litres en moyenne sur l’année 2014, le lait est passé à 305 euros sur l’année 2015, selon la Fédération nationale des producteurs de lait. Et aujourd’hui, il tourne autour de 270-280 euros les 1.000 litres, selon son secrétaire général, Pascal Clément. « Nous, on a fait des investissements, notamment pour la mise aux normes, et on a encore des remboursements de prêts », témoigne Nathalie. « Le problème, c’est le prix du lait. C’est ça qui nous plombe« , dit-elle.

Exemple d’annonce :

lait

Vendre quelque chose que l’on n’a pas acheté

Ces ventes sur Le Bon Coin, quelquefois pour 220 euros les 1.000 litres, « ça sent le désespoir et les dernières armes qui restent à ces producteurs » acculés financièrement, commente François Lucas, vice-président de la Coordination rurale. « C’est un peu une bouteille à la mer« . « Donc ils trouvent une opportunité en vendant leur contrat« , explique Pascal Clément, par ailleurs vice-président de la FRSEA Ouest. Les acheteurs ? « Des producteurs qui pensent qu’en augmentant leur volume, ils vont accroître leur marge« . « Mais, poursuit-il, c’est un non-sens économique » : dans un marché en crise, « les éleveurs laitiers souffrent et c’est donc une charge supplémentaire quand ils achètent des droits à produire« .

Désertification laitière

Ces transactions de gré à gré « nous inquiètent fortement« , confie Pascal Clément qui, comme François Lucas, s’interroge sur cette « situation bancale juridiquement« , selon le responsable de la Coordination rurale. Car le vendeur « vend quelque chose qu’il n’a pas acheté« , souligne M. Clément. Et surtout, il y a un risque que « les puissants » continuent « à se développer au détriment des plus faibles« , estime ce dernier, avec pour conséquence « une concentration chez les plus gros« . Enfin, la transaction est soumise « à l’accord » du transformateur, qui pourrait, prévient M. Clément, « voir un intérêt dans la concentration chez les plus puissants« . Une concentration qui conduirait à la baisse du nombre des collectes, qui sont à la charge de l’industriel. Avec, à terme, la perspective d’une « désertification laitière« , avertit François Lucas.
Par Hervé GAVARD pour AFP

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