Salades invendables, millions de litres de lait jetés dans la fosse à lisier, fourrage potentiellement contaminé à stocker à part: « c’est l’angoisse » pour les agriculteurs touchés par les répercussions de la catastrophe Lubrizol à Rouen, résume une éleveuse, vice-présidente de la chambre d’agriculture.
Installée à 45 km à vol d’oiseau de l’usine Seveso seuil haut, Aline Catoire fait partie des quelque 3.000 producteurs de Seine-maritime, Somme, Oise et Aisne, à qui l’État a interdit de vendre leur production hors serres. Entrée en application après la catastrophe qui a entraîné la formation d’un panache de 22 km de long, la mesure ne sera pas levée avant « la fin de semaine », selon l’État qui attend encore des résultats d’analyse. « En Seine-maritime, on estime que ce sont 700.000 litres qui sont jetés par jour. Sur les 16 jours minimum que ça peut durer, ça fait déjà plus de 4 millions d’euros de lait jeté. Donc les indemnités vont être faramineuses« , poursuit la vice-présidente de la chambre d’agriculture du département. Les producteurs se retrouvent face à de véritables « casse-tête« . « Comme moi beaucoup de producteurs jettent le lait dans la fosse à lisier. Il y a le problème de l’odeur. J’ai 20.000 litres de lait dans ma fosse, imaginez comment ça pue au soleil« , explique l’éleveuse.
À défaut de fosse à lisier ou si celles-ci sont déjà pleines, « il y a possibilité d’épandre en notant sur quel champ et en quelle quantité« , explique l’agricultrice. Et quand viendra le moment de nettoyer les fosses à lisier si le lait s’avère contaminé? « Je ne veux pas l’imaginer mais si il faut retraiter toutes ces quantités d’effluents, ça va coûter, c’est énorme« , poursuit Mme Catoire. En attendant certains agriculteurs ensilent le maïs arrivé à maturité pour en nourrir les vaches si les analyses s’avèrent bonnes. Mais dans l’hypothèse où il serait contaminé, ils doivent l’ensiler à part. « C’est très compliqué« , observe Mme Catoire.
Grave, mais « pas une marée noire »
Dans les autres productions, « les agriculteurs sont beaucoup dans l’incertitude de savoir quand ils vont être indemnisés » car l’aide de l’interprofession ne joue pas comme pour le lait collecté, selon l’agricultrice. C’est le cas de Baptiste Mégard, maraicher bio à Mont-Saint-Aignan, dans l’agglomération de Rouen, qui n’utilise pas de serre. Le producteur de légumes et d’oeufs se veut confiant car le nuage est passé à 100 m de son exploitation et « non au dessus« . Mais en attendant, il a perdu 80% de son chiffre d’affaires, réalisé à 100% en vente directe. « Il y a encore beaucoup de légumes dans les champs donc il y a une perte forte potentielle dedans. Il y a des choses qui vont être perdues. Une salade quand elle est montée, elle n’est pas vendable« , poursuit le jeune maraîcher installé en juillet 2016, qui n’a pas de réfrigérateur pour stocker et laisse sa production en terre. Il affiche 7 à 8.000 euros de manque à gagner sur une semaine soit presque le même manque à gagner que son voisin laitier, Frédéric Dutot, installé à dans la commune voisine de Bois-Guillaume (1.000 euros par jour).
« Si c’est pollué, ça veut dire que l’herbe est polluée, que les arbres sont pollués, que le tas de fumier là est pollué. On peut rien faire nulle part. Et la dépollution je sais pas comment c’est physiquement possible. Si c’est pas pollué, il va falloir mettre les bouchées doubles pour reconquérir la clientèle« , conclut-il. « Cette terre a un fabuleux pouvoir de décontamination. C’est grave mais c’est pas une marée noire« , estime de son côté Pascal Prévost, maraîcher conventionnel à Quicampoix à 15 km de Rouen. Avec 20% de légumes sous serre, le producteur de 59 ans, a pu limiter sa baisse des ventes à 35% la semaine dernière.
Par Chloé Coupeau pour AFP
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