Après la loi d’orientation agricole, le ministre Stéphane Le Foll a détaillé le 8 octobre son plan pour l’alimentation. En arrière fond, les conclusions implacables du « baromètre de la faim 2014 », rendues cette semaine : l’insécurité alimentaire augmente partout en Europe et en France, et elle touche notamment les agriculteurs… Revue de détails des ambitions, et des points qui fâchent de ce programme pour l’avenir.
Aide alimentaire
Pour répondre à un objectif de « justice sociale », mantra de la campagne socialiste pour 2012, le ministre de l’Agriculture a rappelé la victoire de François Hollande sur le maintien de l’aide alimentaire au niveau européen. C’est essentiel car elle irrigue les différentes associations d’entraide sur notre territoire. Or, selon une estimation des banques alimentaires, la demande aurait augmenté de 10 % entre 2012 et 2013, aussi bien en ville qu’en milieu rural.
La lutte contre le gaspillage est aussi un élément clef de ce dispositif, et il passe par la collaboration entre producteurs, distributeurs et milieu associatif. A une semaine de la journée mondiale de l’alimentation, qui sera dédiée à la lutte contre le gaspillage, petit rappel de chiffres : chaque famille jette 20 kg de nourriture par an, dont 7 kg de produits à peine ouverts… Additionnés aux déchets produits par l’industrie et les producteurs eux-même, soumis à un calibrage draconien, plus de 17 millions de tonnes de nourritures partent à la poubelle chaque année. Le sujet, loin d’être austère, commence à prendre vie. En témoigne l’émission de ce soir diffusée sur M6, pas la plus pointue des chaînes.
Trop de sucre, pas assez de tout
Ce sont les industriels de la betterave qui vont être contents : Stéphane Le Foll n’a pas été bien tendre avec le sucre, qui est d’ailleurs un point central du « Pacte ingrédients », mis en place à la fin de l’année dernière avec l’agroalimentaire et dans la restauration collective. L’idée est bien de limiter l’usage de certains produits que l’on sait nocifs à haute dose, comme le sel ou les matières grasses, dans les biscuits, les céréales pour enfants, les plats préparés, la charcuterie industrielle et artisanale etc… Un accord devrait d’ailleurs être signé dans les jours à venir avec la filière des boissons rafraîchissantes, régulièrement mise en cause elle-aussi, pour réduire les quantités de fructose (voir nos articles ici et là).
Plus généralement, le ministre a insisté sur la diversité alimentaire, notamment dans la lutte contre l’obésité et dans un souci d’équité sociale : « L’obésité, c’est désormais établi, touche davantage les milieux défavorisés, ceux qui ont réduit le champs des possibles en matière alimentaire. C’est contre cela qu’il faut lutter ». De quoi relancer le débat sur l’utilité des « scores nutritionnels », qui devraient faire leur apparition selon la récente loi sur la santé publique décidée par Marisol Touraine. Ces « feux tricolores » pourraient être apposés sur les aliments, afin de définir s’ils sont corrects nutritionnellement ou pas : sans surprise, le chocolat est rouge, et les légumes sont… verts ! Cette mesure, qui n’est pas encore mise en place, est vivement critiquée par une partie des producteurs et de l’industrie, et a été partiellement remise en cause par le Ministre ce matin : « Les scores ne sont pas la seule réponse, ça j’en suis convaincu. C’est la diversité, le fait de manger de tout, qui est à valoriser. » Les britanniques qui ont mis récemment en place un dispositif similaire rencontrent de multiples problèmes dans la mise en oeuvre et Bruxelles fait les gros yeux (voir notre article ici)
Manger local… si possible
Vrai serpent de mer, l’approvisionnement en circuits courts de la restauration collective (dans les hôpitaux, les maisons de retraites, les écoles, les administrations etc…) a de nouveau été fixé comme prioritaire. Un guide devrait être édité, faute de pouvoir totalement s’asseoir sur le cadre juridique des marchés publics. Le ministre a d’ailleurs fait sienne la maxime du ministre démissionnaire Arnaud Montebourg en parlant à maintes reprises de « patriotisme alimentaire ». Dans de nombreuses cantines, on continue d’acheter à l’étranger des denrées souvent présentes localement, au risque de fragiliser des filières, de supprimer des emplois et d’alourdir notre empreinte carbone. Mais sans contraintes ni cadre juridique plus ferme, il sera difficile d’atteindre le graal, fixé à 40 % de produits de qualité (biologique, locaux ou marqué des labels « faites moi signe », surtout dans un contexte d’économie budgétaire. Le ministère souligne donc l’importance des plateformes qui permettent de connecter producteurs et acheteurs, comme Agrilocal, pilotées par les départements. Pour étayer sa réflexion, le ministère lance d’ailleurs pour les cinq prochains mois un appel à projets innovants, dotés de 600 000 euros.
La grande distribution en guerre
L’un des points chauds est la guerre mortifère des prix bas qui se joue entre les enseignes de la grande distribution française, à tel point que le monde agricole et agroalimentaire a jugé bon de tirer la sonnette d’alarme au printemps dernier. Souvent, pour garantir des prix à la baisse, les supermarchés tirent sur leurs marges et achètent de moins en moins cher aux producteurs. Les géants du secteur pointent la crise économique et la déflation pour justifier cette stratégie. Pour Stéphane Le Foll, si les grandes enseignes jouent de plus en plus le jeu du local, elles sont aussi « dans une logique qui consiste à s’approvisionner au moins cher », souvent en dépit de l’intérêt général. Une réunion est d’ailleurs prévue sur ce sujet entre les différents acteurs au cours de la quinzaine à venir, en concertation avec le ministre de l’Économie Emmanuel Macron.
Cuisine centrale contre cuisine locale
Remettre en cause le modèle de la cuisine centralisée dans la restauration collective, souvent très critiqué, n’est pas encore à l’ordre du jour, selon le ministre. C’est pourtant un moyen de rapprocher les citoyens des produits et de ceux qui les cuisinent, mais aussi de mieux contrôler ses approvisionnements – deux axes qui font pourtant partie du plan pour l’alimentation défendu ce matin. Un certain nombre de collectivités font ainsi le choix de cuisines au sein même des établissements, et affirment s’y retrouver financièrement. « Je n’ai pas la réponse, avoue le ministre, même si cette tendance à revenir à de petites unités existe. Ce que l’on veut avant tout, c’est travailler sur la qualité des produits. » Or si à l’école de gros efforts ont été faits, l’hôpital et la prison sont encore trop souvent des territoires perdus pour le goût et le plaisir de bien manger.
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