Analyse Marché

La bataille des appelations pour le Tafta

27.04.16

Brie, Chablis, Feta, Parmiggiano, les producteurs européens réclament le respect de leurs appellations dans le Traité de libre échange entre l’Europe et les Etats-Unis (Tafta), vif point de débat dans la négociation qui a repris lundi à New York.

L’Appellation d’origine pour un producteur, c’est un peu les bijoux de famille : pas touche. L’idée de voir transformer ces trésors du terroir en noms génériques leur retourne l’estomac. Mais la notion d’AOC (origine contrôlée) ou d’AOP (protégée), déclinée en Indication géographique protégée (IGP) dans l’Union européenne, n’a pas de reconnaissance internationale harmonisée.

« Aux Etats-Unis, le brie ou la feta sont des noms génériques », souligne Paul Zindy, chargé de mission au Cnaol, le Conseil national des appellations d’origine laitière. Et les producteurs entendent en rester là, si l’on en croit le « Consortium for common food names », qui dénonce les « attaques » de l’UE contre les noms génériques.

Loukoums chypriotes et salami hongrois

Selon Paul Zindy, la Commission européenne affiche désormais une « position assez forte » sur le sujet : elle a adjoint au protocole de négociation du Tafta une liste d’environ 200 produits associés à leur terroir tels le comté ou la tomme d’Abondance, mais aussi le jambon (belge) des Ardennes, des loukoums chypriotes, la bière bavaroise, un salami hongrois, le Grana Panado ou le Gorgonzola italiens…

Son ralliement au concept est cependant récent, d’après Mathias Fekl, secrétaire d’Etat au commerce extérieur et ardent défenseur de « la diplomatie des terroirs ». Devant les Commissions des Affaires économiques et Etrangères du Sénat, le mois dernier, M. Fekl s’inquiétait de « discussions bloquées » sur le sujet à l’issue du 12e round des discussions Tafta. « Si les négociations devaient aboutir à mettre en concurrence deux modèles agricoles et alimentaires différents, le nôtre n’y résisterait pas », prévenait-il en rappelant que la surface agricole de la France, première agriculture d’Europe, égale 8% des 375 millions d’hectares agricoles américains.

Car derrière l’apparent folklore des Appellations, incompris Outre-Atlantique, se joue une vraie bataille commerciale.

Champagne californien vs. vrai Champagne

En 2014 en France, les produits vendus sous signe de qualité et d’origine représentaient 22 milliards de chiffre d’affaires, dont un peu plus de 16 milliards pour les vins, selon l’INAO.

« Plus de 95% des vins sont produits en France sous IGP et parmi eux plus de 95% des vins exportés » reprend M. Darrien. Or les producteurs européens restent échaudés par un précédent avec les Etats-Unis : un accord en 2005 autorisait les vignerons américains à utiliser 17 noms « semi-génériques » associés à une localisation, par exemple le « champagne californien ». Cet accord concernait ainsi les « sauternes », « burgundy », « chablis » mais aussi « chianti », « sherry » ou « porto ».

« L’accord prévoyait à terme un abandon de ces semi-génériques en échange de l’utilisation de mentions traditionnelles comme Château ou Clos… Malheureusement cette deuxième phase n’a jamais été appliquée », explique Pascal Bobillier-Monnot, directeur de la Confédération des producteurs de vins et eaux de vie d’appellation d’origine contrôlée.

Résultat : « 53% des volumes de blancs effervescents vendus aux US sont américains. Dont 75% sont présentés comme des champagnes à moins de 10 USD. Quand le vrai champagne, vendu autour de 30 dollars, plafonne à 10% du marché ». Et toute tentative de revenir sur le sujet depuis 2009 a échoué, note M. Bobillier-Monnot. « Les Américains n’ont tout simplement pas respecté le deal. Point. »

Selon Paul Zindy, les vignerons de la Napa Valley comprennent cependant l’intérêt d’une dénomination géographique et ont rejoint le réseau mondial des IG, « Origin ». Mais le lobby des laitiers américains en revanche se mobilise pour contrer la liste des 200 appellations que l’UE veut protéger. Leur argument : « nous sommes une nation d’immigrés, un melting-pot culturel. Ce savoir-faire c’est aussi le nôtre, celui de nos ancêtres ».

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