Analyse UN OEIL SUR LE MONDE
Aux États-Unis, un petit agriculteur laitier cumule les heures pour résister
Le réveil de Jim Davenport sonne tous les matins à 2h45 pour la préparation de la première traite. Les longues heures de travail ne l’effraient pas mais après plusieurs années de vaches maigres, il envisage « pour la première fois » de fermer boutique.
« Au Nouvel An, je me suis dit que si la situation au 31 décembre 2020 n’était pas meilleure qu’au 31 décembre 2019, il faudrait songer à plier bagages« , confie-t-il dans son étable à Ancramdale, un hameau à deux grosses heures au nord de New York. Ses 64 vaches laitières sont restées à l’intérieur en ce jour glacial et venteux de janvier, mastiquant nonchalamment le fourrage sans cesse renouvelé ou se reposant aux côtés de la vingtaine de chats qui assurent le contrôle des rongeurs. Coiffé d’une casquette verte au logo de sa coopérative, moustache bien taillée sous des yeux rieurs, Jim Davenport passe d’une bête à l’autre, les appelant par leurs prénoms, donnant parfois leur date de naissance. Engoncé dans des vêtements chauds, il s’occupera plus tard des veaux et génisses logés dans des hangars à l’extérieur. A bientôt 60 ans, l’agriculteur se verrait bien travailler encore vingt ans – il adore son métier et aime l’idée de nourrir les gens. Mais « il faudrait au moins que je gagne de l’argent ou que je puisse partir (à la retraite) sans dette« . Il loue son exploitation, sur laquelle il vit avec sa femme, enseignante à la retraite, et où ont grandi ses deux filles.
« Loi du plus fort »
Après une année exceptionnelle en 2014, les prix du lait ont chuté sans jamais vraiment se redresser avant fin 2019. Les agriculteurs sont habitués aux mauvaises années, pas à cinq de suite. Le problème principal, estime Jim Davenport, c’est que les Américains « sont devenus très bons pour produire du lait« . Entre les progrès génétiques et nutritionnels, une vache produit aujourd’hui deux fois plus de lait qu’en 1980. La consommation de produits laitiers augmente légèrement chaque année mais la surproduction est chronique. Les coûts en aliments, en carburant, en main d’oeuvre, ne cessent, eux, d’augmenter.
Jim Davenport s’inquiète particulièrement d’une nouvelle loi obligeant les employeurs dans l’État de New York à augmenter le salaire horaire au-delà de soixante heures par semaine. Dans ce contexte, « c’est la loi du plus fort« , constate-t-il sans amertume. Les fermes les plus grosses ont plus de chances de s’en tirer, les plus petites souffrent. Trop endettés, sans successeur à l’âge de la retraite, ou parce que dans certaines zones les terrains valent plus que l’activité de la ferme, nombre d’agriculteurs ont jeté l’éponge: le nombre d’exploitations laitières a plongé de 20% en cinq ans aux États-Unis pour s’établir à 37.468 fin 2018. « Quand je me suis installé dans le village en 1987, il y avait 27 exploitations laitières. Aujourd’hui, il y en a trois« , remarque Jim Davenport. Le petit rebond des prix du lait fin 2019 laisse espérer une embellie. Mais la situation reste fragile.
– Prime de qualité –
Jim Davenport parvient à tirer son épingle du jeu grâce à la qualité de son lait, pour laquelle il a reçu de multiples récompenses. Tout tient à la propreté, assure-t-il. Dans l’étable, les bouses des vaches, des Holstein et des Ayrshire, sont très régulièrement évacuées avec un racloir. A l’heure de la traite, les pis sont soigneusement désinfectés puis nettoyés avant la pose d’une des quatre trayeuses mécaniques de l’étable. L’agriculteur reçoit une prime de qualité de la part de l’organisation à laquelle il vend la majeure partie de sa production, Agri-Mark. Il vend aussi, à un prix un peu plus élevé, du lait, des yaourts, et de la crème sous la marque Hudson Valley Fresh, qu’il a montée avec une dizaine d’agriculteurs du coin, à des épiceries haut-de-gamme de New York ou à des baristas soucieux de connaître leurs fournisseurs. Impliqué dans la vie locale, Jim Davenport reconnaît qu’il n’est pas le plus grand gestionnaire. Mais l’idée, dit-il, est « de gagner suffisamment d’argent pour pouvoir réduire les heures« . Il est « content » quand, sur une semaine de 168 heures, il parvient à en travailler moins de la moitié. Son objectif est de ne travailler « que 70 heures par semaine à 70 ans ».
Par Juliette Michel pour AFP
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