Ville campagne Un oeil sur le monde
La mozzarella et le camembert russes en plein essor
Il n’y a plus de mozzarella dans les magasins ? Qu’à cela ne tienne, Tatiana et Andreï Korchounov en produisent dans leur cuisine, comme un nombre croissant de Russes déterminés à consommer leurs mets préférés malgré l’embargo décrété par le Kremlin.
« En une heure, je crée facilement un fromage plus frais et meilleur que celui que j’achetais avant les sanctions« , assure Tatiana, 25 ans, tout en remuant avec précaution son lait avec une écumoire dans sa cuisine au 20e étage d’un gratte-ciel prestigieux de Moscou. « Plusieurs de mes collègues à la banque font leurs propres fromages« , ajoute son mari Andreï, conseiller financier dans une banque moscovite. L’embargo imposé par le Kremlin à l’été 2014 sur la plupart des produits alimentaires occidentaux en réponse aux sanctions liées à la crise ukrainienne a privé les gourmets russes des fromages français, italiens ou encore hollandais. En réaction, les ex-Soviétiques, habitués aux pénuries et à faire preuve d’imagination pour les contourner, se sont lancés dans la fabrication de chèvres et de camemberts maison.
Cheese Box
Certains surfent même sur la tendance, comme Valéria Opanassiouk, experte en finances de 25 ans qui a lancé en janvier le site Cheese Box. Son commerce en ligne propose des kits comprenant ferments et matériel (passoires, thermomètres, cuillères doseuses) pour produire fromages de chèvres, mozzarella, ricotta… Les ventes augmentent d’environ 25% par mois, dit la jeune femme. « D’ici quelques semaines, les débutants pourront déjà fabriquer du camembert maison« , se félicite-t-elle. Elle reconnaît volontiers qu’elle ne s’attendait pas à un tel succès après avoir préparé son premier fromage avec son fiancé informaticien… En un an, les recherches sur internet de « recettes fromage maison » ont presque doublé (208.000 en juillet dernier), selon les statistiques du premier moteur de recherches russe, Yandex. Celles portant sur le mot « camembert » ont été multipliées par dix, et celles sur le parmesan, par six. « Les Russes découvrent tout juste que fabriquer du chèvre ou de la ricotta maison est aussi facile que de préparer leurs cornichons malossol traditionnels« , résume Valéria.
Augmentation d’un quart de la production locale
Ce culte du fromage est pourtant tout jeune chez les Russes : aucune tradition n’existait en URSS, les Soviétiques connaissant à peine deux ou trois sortes de fromages qu’ils consommaient principalement en sandwiches ou comme ingrédient de plats. Mais après la chute du rideau de fer et la fin de l’URSS fin 1991, ils ont découvert ce nouveau délice européen. En 2013, juste avant l’embargo, la Russie importait presque 500.000 tonnes de fromages européens, selon l’Union des laitiers russes. Pour substituer les « produits importés interdits » – le nouveau mot d’ordre du Kremlin – le gouvernement russe a augmenté cette année d’un quart la fabrication des fromages russes. Mais quatre fromages locaux sur cinq contiennent des huiles végétales au mépris des normes en vigueur, a dénoncé récemment l’agence de protection du consommateur. Les acheteurs des kits vendus par Valéria viennent surtout des grandes villes comme Moscou ou Saint-Pétersbourg, où le niveau de vie a permis ces dernières années aux habitants de se familiariser avec l’épicerie fine européenne. Mais pas seulement: elle reçoit aussi des commandes de Nijni-Novgorod, Kazan et Samara, sur la Volga ou encore Rostov-sur-le-Don, dans le sud du pays.
Clientèle urbaine
Olga Lazareva, qui organise des ateliers de fromages maison à Moscou, constate que la plupart de ses clients appartiennent à la classe moyenne ou supérieure urbaine: ingénieurs, professeurs, informaticiens pour qui le fromage perdu est devenu le symbole de la Russie sous sanctions. Un marché suffisant pour que son site Syrodelie.ru, qui signifie « Fabrication du fromage » et qui propose aussi du matériel pour produire ses fromages maison, multiplie ses ventes par cinq en un an et engrange chaque mois un millier de nouveaux clients. « Des milliers de Russes se sont tout à coup découverts dépendants des fromages européens qu’ils ont perdus et cherchent une solution de rechange« , explique à l’AFP cette ancienne cadre-dirigeante de la banque publique VTB. Cette passion a néanmoins un prix: comptez 2.500 roubles (36 euros) pour un kit Cheese Box contenant du matériel et des recettes pour fabriquer deux sortes de fromages, mozzarella+ricotta, chèvre+halloumi… Et entre 2.300 et 3.400 roubles (de 33 à 49 euros) pour ceux de Syrodelie.ru. Ioulia Lyssikova confirme l’intérêt du public : son centre de formation « Syr doma » (Fromage maison), où des débutants apprennent en deux jours à fabriquer leur propre Saint-Maure de Touraine, lors d’ateliers organisés chaque mois, affiche complet. A Moscou, plusieurs groupes d’une quinzaine de débutants s’initient ainsi à la fabrication d’une vingtaine de types de fromages « faits maison », du camembert au reblochon, en passant par le cheddar, la feta, le parmesan et des spécialités à la moisissure bleue… « Les amateurs russes du fromage ont compris qu’ils ne peuvent compter que sur eux-mêmes« , juge Mme Lyssikova.
Partagez moi !
Vous pourriez aussi être intéressé par
Ville campagne ÉPISODE 3/6
Paysan(ne), un métier d’avenir ? Nécessairement !
Ville campagne Épisode 4/6
Paysan(ne), un métier d’avenir ? Jean-Martin Fortier répond résolument oui, si on applique ses méthodes largement éprouvées !
Ville campagne L'anniversaire