La chute du cours du pétrole a des conséquences surprenantes au Venezuela. Caracas n’a plus les moyens d’importer certaines matières premières, comme l’orge. Conséquence: dans ce pays qui est le plus gros consommateur de bière d’Amérique du Sud, le breuvage se fait rare.
Après avoir passé la journée sous la chaleur à chercher des médicaments pour sa femme, Carlos Dapen n’avait envie que d’une seule chose : une bière. Mais dans un Venezuela à l’économie dévastée, même ce petit plaisir devient difficile à combler.
En commandant un demi « bien froid » dans un bar de Chacao, un quartier de Caracas, ce comptable de 53 ans a eu de la chance. On lui a servi une des dernières Solera, l’une des cinq marques du groupe Polar, qui fournit 80% de la bière consommée dans le pays sud-américain et vient d’arrêter ses livraisons. « Avant ils avaient de tout ici, toutes les variétés (de bières) que l’on voulait », raconte-t-il. « Voir le pays comme ça me déprime, mec ».
Au temps où les dollars du pétrole coulaient à flots, la bière aussi se trouvait en abondance au Venezuela, qui était alors un riche producteur de brut. Désormais, les cours de l’or noir sont au plus bas et Caracas, dont l’économie n’a quasiment aucune autre source de revenus, n’a plus les moyens d’importer les médicaments, aliments et matières premières dont elle a besoin… notamment l’orge, indispensable pour fabriquer la bière.
Au compte-gouttes
Ces importations dépendent obligatoirement du gouvernement du président socialiste Nicolas Maduro, qui distribue au compte-gouttes les devises permettant aux entreprises de payer leurs fournisseurs. « Sans matière première, nous ne pouvons pas produire », se lamentait le 21 avril Polar, plus important groupe agroalimentaire du pays, expliquant avoir de « l’orge malté pour fabriquer (de la bière) jusqu’au 29 avril » seulement. « Dans ces circonstances, nous nous voyons obligés de suspendre la production de bière et de malt jusqu’à obtenir un accès aux devises nécessaires pour nous procurer de la matière première », avait-il prévenu. Selon Polar, cette mesure affectera directement 10.000 de ses employés et indirectement plus de 300.000, entre les franchisés, les autres clients et les compagnies de transport.
L’annonce n’a guère ému le gouvernement : « Ce n’est pas parce qu’il n’a plus de bière que le peuple va mourir », a raillé Diosdado Cabello, bras droit de Nicolas Maduro, actuellement menacé par un possible référendum révocatoire, souhaité par l’opposition sur fond de mécontentement populaire. Mais dans un pays qui supporte déjà des heures d’attente face aux supermarchés et des coupures de courant quotidiennes, cette nouvelle pénurie mine un peu plus les habitants. Selon une étude du groupe japonais Kirin, ces derniers détenaient en 2014 le record de consommation de bière par personne en Amérique du Sud, avec 70,8 litres par an, qu’ils aiment déguster en regardant un match de baseball ou sur la plage.
Finie la fête
Dans le quartier populaire de Pajaritos, à Caracas, la rue principale et sa succession de bars attirent généralement une foule de fêtards le soir. Elle est désormais presque vide. Un seul établissement vend encore la Polar Pilsen, une variété prisée. « On nous a livré les 10 dernières caisses il y a deux semaines », confie José, employé d’un des bars du quartier. Le manque de bière ne justifie pas à lui seul le calme ambiant: dans ce pays parmi les plus violents au monde avec plus de 50 meurtres par jour au premier trimestre, de moins en moins d’habitants osent sortir le soir. « La vie nocturne a beaucoup baissé à cause de l’insécurité. Donc les gens ne sortent plus et beaucoup de bars n’ouvrent plus que de mercredi à samedi », explique Alexander Briceño, géant du pub Greenwich.
La pénurie aggrave le phénomène, estime-t-il, se souvenant avec nostalgie que son bar accueillait auparavant jusqu’à 300 personnes et vendait 2.000 bières par soirée. Elle fait aussi décoller les prix, dans un pays à la pire inflation au monde (180,9% en 2015) : en deux semaines, la bouteille de Polar (33 cl) a grimpé de 40%, à 360 bolivars (environ un dollar au taux de change officiel). Sur un an, son tarif a explosé de plus de 400%. « Avant, avec 100 bolivars, on se soûlait », assure Rafael Rodriguez, habitant de 63 ans.
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