Ville campagne Pandémie

Dans la campagne confinée, l’épicier ambulant apporte vivres et réconfort

20.04.20

Dans les villages du nord de la Drôme, le Messie est épicier ambulant. Depuis 33 ans qu’il approvisionne à domicile des habitants âgés et isolés, Claude Mottet n’a jamais été attendu avec autant d’impatience qu’en cette période de confinement.

Derrière chaque porte de maison, une liste de commissions a été soigneusement rédigée à la main; le panier ou le cabas attendent leurs victuailles. On guette à la minute près l’arrivée du commerçant. Ce mercredi d’avril, Claude Mottet, grand gaillard de 57 ans marié à une infirmière, le cheveu gris et ras, entame une tournée d’une centaine de kilomètres autour de Romans-sur-Isère, où le périurbain a grignoté la ruralité d’autrefois. Le supermarché n’est pas forcément loin mais ses clients n’y vont plus.

L’épicier gare son camion devant un premier portail en actionnant une trompe à grand bruit pour se signaler, un simple coup de klaxon n’y suffirait pas car ses habitués sont souvent durs d’oreille. Le volet de l’étal se relève pendant que Michel, 89 ans, sort de chez lui à l’aide d’une canne. « Je suis un cadavre ambulant« , plaisante-t-il. D’ordinaire, c’est son épouse Madeleine qui vient mais « elle est un peu fatiguée en ce moment« . Elle a néanmoins préparé la liste. Des ravioles, des quenelles, du beurre, « des soupes rapides« , de la confiture, de l’huile d’olive, du gel douche, de l’eau gazeuse, de la lessive, et puis Michel se laisse tenter: « Je vois que vous avez des fromages de chèvre, là, mettez m’en deux« .

Claude Mottet connaît le couple depuis longtemps. « Ils ont vraiment du mal à marcher« , explique-t-il en portant les sacs jusqu’à la maison. Le service ne s’arrête pas là: ses passages sont aussi l’occasion de prendre des nouvelles, de discuter un peu. S’il le faut, il change une ampoule, une bouteille de gaz, les piles de la télécommande… « Les gens cherchent autre chose que les courses, ils cherchent un contact. On me propose souvent de boire le café, mais je n’ai pas le temps ! »

Sacerdoce

Surtout en ce moment. Avec le confinement qui isole encore plus les vieilles personnes, l’épicier est « débordé« : ses clients lui demandent de passer plus souvent et le bouche à oreille lui en amène de nouveaux. Yvette, 83 ans, est de ceux-là. C’est la deuxième fois qu’il vient la servir à Meymans, au pied du Vercors. Le camion a manoeuvré pour entrer dans la cour et l’étal s’ouvre sur le perron. L’infirmière est là: « comment ça va les gambettes aujourd’hui ?« , lance-t-elle à l’octogénaire, dont la fille Françoise, qui habite à côté, s’occupe de passer commande. « Le confinement, c’est très dur, heureusement qu’il y a des gens comme Monsieur Mottet. Il apporte les commissions et le petit réconfort dont une personne âgée a besoin; ça rassure tout le monde quelqu’un qui passe« , souligne-t-elle.

À Saint-Mamans, bourg voisin, Raymonde, 90 ans, est servie directement à sa fenêtre qui donne sur une placette. « Je marche difficilement et, avec le virus, la femme de ménage ne passe plus. L’épicier, ça fait une visite. Je ne vois plus grand-monde. » Dans les villages et les hameaux déserts, le temps paraît s’écouler encore plus lentement que d’habitude. « Quand quelqu’un a besoin de discuter, j’essaie de prendre cinq minutes. Et quand ça ne bouge pas dans la maison, je descends du camion pour aller voir« , ajoute Claude.

Certains voudraient le voir tous les jours mais ses tournées qui mordent sur l’Isère et l’Ardèche, avec environ 300 clients réguliers, ne lui permettent de passer qu’une fois par semaine, d’ordinaire, c’est plutôt tous les quinze jours. Un sacerdoce autant qu’un commerce, héritage paternel. Dans le hangar où il stocke les 2.000 références de sa caverne d’Ali Baba sur roues, l’affiche du film Le Fils de l’Épicier (2007) orne un placard. « Ça raconte carrément mon histoire. »

Le commerçant en alimentation générale non sédentaire, son titre officiel, sert encore d’anciens clients de son père, comme Paul, « nonante-quatre ans« , qui l’attend bon pied bon oeil dans sa ferme au milieu des collines. Le travail de manutention et de conduite est éprouvant, surtout l’hiver. En ces temps d’épidémie, il faut aussi tout désinfecter entre deux ventes. Mais l’empathie pousse l’épicier, plus que jamais, à se lever pour prendre la route chaque matin.

Par Pierre Pratabuy pour AFP

Partagez moi !

Vous pourriez aussi être intéressé par

Ville campagne L'anniversaire

Les « Fermes d’avenir » fêtent dix ans de labourage

05.10.23
Les "Fermes d'avenir" fêtent leur dixième année d'action citoyenne et même si tous les objectifs chiffrés ne sont pas au rendez-vous, les changements dans les mentalités sont bien là.

Ville campagne

La Ferme des croquants, enthousiasmant !

12.03.24
Voilà six jeunes passionnés qui ont posé leurs bagages sur une ancienne exploitation en Ariège où ils produisent des fruits, des légumes, des œufs et des céréales, qu’ils ont apprit à transformer en pain, en bière, en conserve, et...

Ville campagne À la ferme

La ferme de Poulprenn : un exemple d’élevage holistique

10.03.21
Les français.es raffolent des produits laitiers. Ils sont près de 80% à en consommer tous les jours. Nous serions même les champions mondiaux de la consommation du beurre et du fromage, pas si étonnant, ces produits ayant un certain...