La science se cherche BiodiversitéTribune
Pour des semences et des races “anciennes”
Hier a commencé un événement organisé par des associations étudiantes de grandes écoles parisiennes (SciencesPo, ENS, AgroParisTech, Institut de Géographie …) en partenariat avec la Confédération Paysanne et les Amis de la Conf’. Alimentation Générale a décidé de leur laisser la parole. Ils nous parlent dans ce premier article d’un mouvement citoyen déjà bien engagé pour la défense des semences et des races dites “anciennes”, “locales”, “autochtones”. L’objectif étant moins celui de retrouver des éléments du temps passé, que de reconquérir les savoir-faire associés au maintien d’une biodiversité domestique.
L’état de la biodiversité domestique reflète les choix que les hommes opèrent en matière de sélection, les changements qu’ils font subir aux végétaux et aux animaux. Les débats dans les années 1990 sur l’introduction d’Organisme génétiquement modifiés(OGM), puis les évolutions récentes concernant le traitement du vivant ont facilité l’émergence de collectifs citoyens soucieux des conditions de production de leurs aliments. Pour eux, il s’agit pourtant moins de valoriser une variété ou une race particulière, ni de s’intéresser à leur caractère local comme élément d’identité territoriale, que de revenir à une certaine forme d’autonomie “paysanne”, laquelle s’intègre dans un discours plus général sur la souveraineté alimentaire.
Dans la seconde moitié du XXe siècle, l’érosion de la biodiversité domestique agricole s’est accélérée, en raison de la tertiarisation de l’économie, de la standardisation et de la recherche de productivité dans l’agriculture. Cela a entraîné la disparition de variétés et de races dites “populations”, c’est-à-dire qui ne sont pas homogènes et qui présentent des variations selon les individus. La sélection étant ainsi déléguée à quelques entreprises privées, à la science ou à l’Etat, les agriculteurs cessant de sélectionner à la ferme.
De multiples initiatives
A l’échelle nationale, plusieurs associations ont aujourd’hui pour vocation de participer à la conservation et au maintien de la biodiversité végétale : l’association Kokopelli, celle des Croqueurs de Pommes, le Centre d’ampéléographie alpine de Pierre Galet et le Réseau semences paysannes. Des associations locales qui réunissent des jardiniers, des éleveurs amateurs et des professionnels (horticulteurs, pépiniéristes, agriculteurs, artisans semenciers). Mais les collectivités locales s’engagent également, dans un objectif plus patrimonial, comme c’est le cas des Parcs naturels régionaux qui réalisent des inventaires, diffusent de connaissances, ou organisent des actions de sensibilisation. Des conservatoires, tels que des vergers ou des vignobles sont financés par les communes et intercommunalités, les conseils départementaux, les régions.
Du point de vue des races, les actions de conservations et de développement sont majoritairement le fait d’éleveurs professionnels. Dans le cadre d’organisme de sélection, les éleveurs se font aider par des techniciens agricoles, des vétérinaires et des ingénieurs agronomes afin d’intégrer la race dans un schéma d’amélioration. A l’échelle nationale, l’Institut de l’élevage soutient et accompagne les programmes de conservation des races à faibles effectifs depuis 1970. L’organisation des professionnels de l’élevage est nécessaire surtout en ce qui concerne les races à reproduction lente, comme les bovins ou les ovins.
La conservation nécessite le maintien de cheptels nombreux, plus vastes que ceux généralement possédés dans les élevages amateurs. Il existe l’association FERME qui recense les éleveurs des races à faibles effectifs dans toute la France et effectue une activité de diffusion d’informations. Quand la définition de la race ne s’appuie que sur des critères phénotypiques, sans critères de production, la sélection peut se faire sans aide technique particulière. Des races de volailles ou de lapins sont conservées exclusivement dans des élevages amateurs.
Réintroduire de la diversité dans les fermes
Plusieurs associations se sont engagées dans la réacquisition des savoir-faire liés à la sélection, végétale essentiellement. Même dans le cas des races à faibles effectifs, les éleveurs remettent assez rarement en question le principe de sélection organisée et sélective dans la mesure où c’est elle qui permet d’améliorer les qualités productives des animaux. Quelques éleveurs, toutefois, déconstruisent le concept de race et de lignée pure, et voudraient faire revenir l’activité de sélection à la ferme. Les schémas d’amélioration des races ont un coût, ils nécessitent l’intervention de techniciens agricoles (contrôles de performance), ce qui crée une dépendance vis-à-vis des intervenants extérieurs. La structuration de la sélection oblige aussi les éleveurs singuliers à suivre les directions collectives, qu’ils ne partagent pas toujours.
S’agissant des variétés végétales, la première étape est de mettre en culture, d’observer puis d’étudier les différentes étapes de la croissance jusqu’à la fructification. Une fois qu’une variété a fait ses preuves, il s’agit ensuite de la multiplier et, dans certains cas, de poursuivre les expérimentations afin d’envisager les différentes possibilités de transformation du produit (panification, vinification…). Pour les vignes et les arbres, le temps d’observation et d’étude est long (entre cinq et 10 ans). L’un des principaux obstacles à une diffusion plus importante des variétés et des races sont donc d’une part la standardisation du marché (calibrage, esthétique, etc), de l’autre la législation.
Si l’on prend l’exemple du catalogue des cépages autorisés à la vinification et à la commercialisation : il ne contient que 250 cépages, alors que l’ampéléographe Pierre Galet en a recensé près de 9600 dans le monde. L’inscription de cépages nécessite presque dix ans d’essais et de contrôles. Le catalogue des semences autorisées à la vente interdit les variétés populations. Pour être inscrites au catalogue, les variétés doivent être conformes aux normes de Distinction, d’Homogénéité et de Stabilité (DHS) et représenter une amélioration vis-à-vis des variétés déjà existantes évaluées selon le test de Valeur Economique et Technologique (VAT). Ces normes ont été construites pour garantir aux clients la qualité des semences achetées, au détriment cependant de la diversité, pourtant gage des capacités d’adaptation de l’agriculture de demain. Plus la population est vaste et diversifiée, plus il y a des chances que certains individus soient plus résistants que d’autres aux changements climatiques.
En raison du temps qu’impliquent ces démarches, mais aussi de leur positionnement parfois à la limite de la légalité, l’engagement d’un mouvement citoyen et de bénévoles est une condition préalable. Les agriculteurs seuls n’auraient pas le temps de s’engager dans la réinscriptions de cépages dans les catalogues, ni de mener des études sur les variétés. L’ambition ultime d’un certain nombre de projet demeure que la diversité variétale regagne les champs des agriculteurs. Des association associent des agriculteurs à des programme de sélection participative, parfois accompagnée par des techniciens agricole ou des ingénieurs, notamment sur les blés et les maïs. Au sein de ces groupes, les agriculteurs s’approprient les savoir-faire de sélection au champs (observation, détermination de critères, choix du porte-graine), et élaborent ensembles des variétés populations, des mélanges, et parfois des variétés pures qu’ils créent collectivement selon les besoins de leurs fermes (conditions climatiques, sols, destination du produit). Une fois encore, ces actions s’inscrivent au-delà de la conservation d’un patrimoine, elles accompagnent un patrimoine vivant et le renouvelle.
La mise en réseau des associations et acteurs participe aux renforcement du lien social et des échanges, notamment dans les territoires ruraux, et plus spécifiquement entre les agriculteurs et le reste de la population. Par l’implantation de vergers, de vignes conservatoires ou encore de parcelles de multiplication, ces collectifs participent à maintenir les paysages agraires patrimoniaux. Leur mobilisation est d’autant plus un enjeu pour les territoires que les multinationales et la puissance des lobbies orientent leur action vers une privatisation du vivant. Les réseaux défendent aussi des acteurs isolés contre une législation assez peu propice à la conquête de l’autonomie paysanne, et qui, au contraire, légitime la brevetabilité du vivant, entraînant par ailleurs la multiplication des cas de biopiraterie.
Semaine de l’agriculture paysanne 2017
Du 13 au 19 mars 2017
Un événement organisé par des associations étudiantes de grandes écoles parisiennes
(SciencesPo, ENS, AgroParisTech, Institut de Géographie …)
en partenariat avec la Confédération Paysanne et les Amis de la Conf’.
Partagez moi !
Vous pourriez aussi être intéressé par
La science se cherche Modes alimentaires
L’INRAE donne les clefs du nécessaire changement de nos préférences alimentaires
La science se cherche
La viande cellulaire entre rêve écologique et cauchemar économique
La science se cherche Climat