La science se cherche Études

L’homme qui espionne les manchots

03.11.14

Un poussin en peluche monté sur quatre roues au milieu d’une colonie de manchots : non, ce n’est pas un jouet téléguidé égaré sur la banquise, mais un outil scientifique pour étudier ces animaux menacés sans les stresser inutilement.

L’intérêt de ces petits véhicules télécommandés, aussi appelés rovers, vient d’être montré par des chercheurs de l’Institut pluridisciplinaire Hubert Curien (CNRS/Université de Strasbourg) et du Centre scientifique de Monaco. A l’origine de cette étude conduite par le spécialiste des manchots Yvon le Maho, un constat: les manchots sont de bons indicateurs de l’état de santé des ressources marines de l’océan Austral. Etudier leur reproduction et leur survie permet de mieux connaître l’impact du changement climatique sur la biodiversité. Mais il faut pour cela les marquer individuellement. L’anatomie particulière des pattes des manchots ne permettant pas leur baguage, les scientifiques avaient opté pour une bague insérée dans un aileron, qui avait l’avantage de permettre la lecture à distance.

Mais en 2011, une étude déjà conduite par Yvon le Maho a montré que ce système gênait les manchots dans leurs déplacements dans l’eau. Avec des conséquences importantes sur leur survie et leur succès reproducteur. Les scientifiques ont trouvé une alternative: un transpondeur introduit sous la peau, « une +étiquette+ électronique de moins d’un gramme« , explique Yvon Le Maho. Pas de gêne pour l’animal avec ce système, mais une limitation technique: la très petite portée du signal émis par radiofréquence (la RFID), autour de 60 cm. Pour localiser un manchot transpondé la solution était jusqu’à présent de circuler dans la colonie, un lecteur RFID à la main, mais avec des « risques évidents de perturbation » des animaux, selon les chercheurs.

Tenue de camouflage
Ils ont alors pensé à remplacer l’homme par des antennes sur roues, des véhicules télécommandés équipés de lecteurs RFID, bénéficiant dans un premier temps d’un ancien rover donné par le Service de Déminage du ministère français de l’Intérieur. L’équipe d’Yvon Le Maho a commencé à expérimenter le système sur l’Ile de la Possession, dans l’Archipel de Crozet (Sub-Antarctique), sur des manchots royaux, des animaux qui défendent leur territoire.

Pour comparer le stress généré par l’homme et par le rover, les chercheurs ont mesuré la fréquence cardiaque de manchots en train de couver leur oeuf. Les manchots royaux ont défendu leur territoire contre le rover à coups de bec et d’ailerons, comme si c’était un de leurs congénères, « et avec la même augmentation de leur fréquence cardiaque« . Dès qu’il s’immobilisait, le rover était ignoré. Ils ont constaté que l’intrusion humaine se traduisait « par une augmentation beaucoup plus grande de leur fréquence cardiaque comparée à une approche du rover« , a indiqué Yvon Le Maho. La présence de l’homme provoquait également « une désorganisation de la structure de la colonie« . Les scientifiques ont poursuivi leurs investigations dans la colonie de manchots empereurs située à proximité de la Base française Dumont d’Urville, en Terre-Adélie.

Ce sont des oiseaux qui ne défendent pas leur territoire. Ils se sont mis à reculer à l’approche du rover. Les chercheurs ont eu l’idée de « camoufler » le rover en posant dessus un faux poussin manchot. L’engin a alors pu s’approcher sans effrayer les oiseaux. Ils ont même essayé « de communiquer avec lui par des vocalisations« . Ces résultats ouvrent la voie « à des recherches plus acceptables au plan éthique (…) tout en évitant les biais scientifiques liés à la perturbation des animaux dans leur milieu naturel« , a estimé Yvon Le Maho. Les rovers pourraient également être utilisés pour l’identification électronique de mammifères marins, comme les éléphants de mer, ont souligné les chercheurs. Ces travaux, dont les résultats sont publiés dimanche dans la revue Nature Methods, ont été menés avec le soutien de l’Institut polaire Paul-Emile Victor, de la Fondation d’entreprise Total et de l’Agence nationale de la recherche.

Véronique MARTINACHE

Crédit photo : Frédérique Olivier/John Downer Productions.

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