Portrait Agriculture écologiquement intensive
Julien Frémont, génération AEI
Julien Frémont, producteur en Loire-Atlantique, fait partie de ces trentenaires qui ont repris l’exploitation familiale tout en refusant de reproduire le modèle de leurs parents. Producteur de lait et père de famille, il fait partie de la génération AEI qui privilégie à la fois, l’équilibre personnel, économique et environnemental.
La crise de ces derniers jours est la crise du monde agricole hérité de l’après-guerre. Rien ne sert de continuer à le subventionner. Ses producteurs sont déjà sous perfusion européenne. D’ailleurs, après avoir nourrit la France, leurs héritiers aimeraient tout simplement pouvoir vivre de leur métier. Une grande majorité crie sa rage par caméras interposées et pointe l’absurdité d’un modèle productiviste qui a vécu et que beaucoup d’entre eux ont longtemps soutenu. Pourtant, en cette fin juillet, certains agriculteurs ne manifestent pas. Les paysans-maraîchers de la Conf’ qui, par le choix de l’agro-écologie et le pari de la proximité comme mode de production et de diffusion, vivent de ce modèle. Quant aux tenants de l’agriculture écologiquement intensive (AEI), sorte d’agriculteurs 2.0, ils ont décidé de faire le pari de la rationalité pour vivre et tenter de préserver ce qui peut l’être encore des terres agricoles françaises.
Il est 11h45 en ce 27 mai et Julien Frémont nous avait averti : « Le mercredi, c’est à moi d’aller chercher les enfants. » La visite de son exploitation attendra. Situé à quelques encablures du désormais célèbre village de Notre-Dame-des-Landes, le hameau de la Pré Neuve ressemble à tous les corps de ferme de la région nantaise. A gauche de la maison, les hangars à bovins et d’entreposage du fourrage. Derrière, des prés à perte de vue où le remembrement assassin des haies, encouragé au milieu des années 70, n’a pas l’air d’avoir eu lieu.
Ancien salarié dans le négoce de la région de Cognac, Julien Frémont s’est habitué à un rythme de vie fait d’horaires fixes et de vacances régulières. « Dans ma génération d’agriculteurs, nous sommes plusieurs dans ce cas », confirme le chef d’exploitation. Alors, quand il décide de prendre la suite de son père en 2010, il s’associe et se spécialise dans la production de lait. « Aujourd’hui, rien ne sert de s’éparpiller. » Avec ses 115 hectares de terrain – 65 d’herbe, 20 de maïs, 25 de blé et 5 de lupin – et ses 63 bovins, l’exploitation de Julien Frémont produit 630 000 de lait par an. Un rendement de 10 000 litres par vache rendu possible grâce au concept « d’agriculture écologiquement intensive » (AEI) créé par l’agroéconomiste Michel Griffon et repris à son compte par la coopérative Terrena [lire le premier volet de cette série].
« Ce type d’agriculture permet de produire plus, de produire mieux, de produire avec moins d’intrants », détaille Julien Frémont. Comprendre, contribuer à nourrir la planète en produisant des aliments qualitativement et nutritionnellement sains. Le tout, grâce aux 103 innovations technologiques mises au point par le service R&D de Terrena. « Malgré ces appuis, il ne faut pas produire avec moins d’intelligence, reprend le trentenaire, assis à un bureau qu’il ne doit visiblement pas fréquenter bien souvent. Aujourd’hui, les agriculteurs sont des agronomes qui doivent à la fois pouvoir utiliser ces innovations, tout en redécouvrant et optimisant les pratiques de l’ancien temps. »
L’agriculture, 21% des rejets de gaz à effet de serre
Ainsi, depuis cinq ans, Julien Frémont utilise le projet Farmstar [lire notre entretien avec Grégoire Sigel à propos de ce programme coédité par Airbus et Arvalis] aussi bien qu’il cultive du lin. Car – et c’est un fait – du point de vue de l’impact environnemental, l’activité agricole française représente 21% du rejet de gaz à effet de serre dans l’atmosphère. « A lui seul, le méthane participe à hauteur de 40% de ces rejets », assure Julien Frémont. Or, dans ce secteur, il n’y a pas plus polluant qu’un élevage de bovins. « Alors, grâce à Farmstar, je peux contrôler la fertilisation de mes céréales par satellite. » Le procédé semble aussi fou que simple. Grâce à des photos aériennes de ses champs, Julien Frémont peut déterminer le potentiel de ses cultures en fonction des mesures établies par Farmstar. Et ajuster, en fonction, la quantité d’azote à épandre.
Du ciel à la terre, l’exploitant couple également au maïs et au blé, la culture du lin. Une plante naturellement riche en oméga 3 qui, ajoutée à l’alimentation de ses vaches, permet de réduire d’autant leur production de méthane. Fabriqué lors de la rumination animale, ce « déchet » peut désormais être contrôlé par l’agriculteur grâce à la démarche « éco-méthane ». Breveté par Terrena [lire notre interview de Philippe Coiffet, en charge du programme « éco-méthane » chez Terrena, dans notre troisième volet], ce processus fait partie des douze mesures techniques dites « solutions AgriCO2 », validées à la fois par l’Ademe et l’Inra.
« Grâce à ce mix de cultures alimentaires, poursuit Julien Frémont, tout ce que mes bêtes ingèrent va être utile à leur santé, servir à leur reproduction et rentabiliser ma production. » « Des vaches à 10 000 litres », comme il les appelle, optimisées à leur maximum, qui font immédiatement penser au modèle plus que controversé de la ferme-usine « des mille vaches ». Installée près de l’aérodrome d’Abbeville, dans la Somme, elle est devenue le symbole même de l’agriculture industrielle. Un dossier éminemment politique. A tel point que, depuis sa création, il ne cesse de faire polémique. Entre les 11 et 17 juin derniers, deux affaires l’ont secoué. D’abord, cette menace de sanctions à l’encontre du directeur du site pour non respect de la réglementation relative au nombre autorisé de vaches. Ensuite, lors de l’appel du procès de neuf militants de la Confédération paysanne, accusés de dégradations lors de la construction, qui a vu l’avocate générale demander à la cour d’Amiens de confirmer les peines de deux à quatre mois de prison avec sursis, assorties de 1000 euros d’amende.
L’AEI, une troisième voie ?
« Entre 63 et 1000 vaches, on ne peut vraiment pas faire la comparaison, insiste Julien Frémont. D’autant que, personnellement, je ne soutiens pas ce modèle. Même si je connais des petites exploitations de 15 à 20 vaches où les animaux sont sûrement moins bien traités que dans ces fermes-usines. Sur ces questions, reprend l’exploitant agricole, il faut remettre l’agriculteur au cœur du dispositif et se demander ce que veut vraiment le consommateur. On ne peut pas renier l’agriculture intensive et chimique d’après guerre. A l’époque, on avait un besoin sociétal et vital de se nourrir. Aujourd’hui, c’est différent. Il faut allier demande et capacités. Cette « nouvelle agriculture », que Terrena appelle AEI, doit trouver sa place entre le modèle bio et le système ultra productiviste. »
Pour autant, cette possible troisième voie, qui risque fort de créer une réelle fracture technologique chez les agriculteurs européens qui pourront ou non s’équiper, répondra-t-elle à l’impératif de nourrir l’ensemble d’une population tout en exportant ses produits phares aux quatre coins du monde ou se contentera-t-elle de vouloir remplir, à elle seule, cet objectif illusoire de nourrir la planète ? Une question à laquelle Julien Frémont répond par « la fierté d’exercer ce métier de cette manière ». « Soit on est convaincu, comme moi, qu’il faut le faire autant pour des raisons économiques qu’environnementales, soit on le fait simplement parce que cela libérera, à plus ou moins long terme, l’agriculture du système des subventions et des contraintes réglementaires qui l’étouffe actuellement. »
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