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L’homme qui ne murmurait pas (encore) à l’oreille des politiques
Jacques Caplat n’est ni leader d’un Parti politique, ni Président de la république et c’est bien dommage. Un poil exagéré, penserez-vous, pour commencer à évoquer son dernier ouvrage. Oui et non.
D’abord un titre : « Changeons d’agriculture » et un sous-titre : « réussir la transition » qui sonnent comme un manifeste politique, voire un slogan. Si on ajoute que pour lui, le changement, c’est maintenant, ça ressemble quand même à un air déjà entendu de récente campagne électorale. Ensuite, le plan choisi par cet agronome, ethnologue et géographe pour son ouvrage n’est pas sans rappeler un argumentaire politique. Il commence d’abord par démontrer points par points, en n’hésitant nullement sur les redondances pédagogiques, que l’agriculture conventionnelle est un « géant aux pieds d’argile », explique ensuite en quoi l’agriculture biologique n’est jamais qu’une évidence pour l’avenir de l’humanité et passe enfin aux travaux pratiques politiques nécessaires à la réussite d’une transition.
Et la première réflexion qui vous vient en fermant le livre est définitivement politique. Comment, dans une société en panne de vision, ne croyant en guère autre chose qu’en la persistance de la crise, aucun personnel politique n’a souhaité jusque là s’emparer d’un tel projet de société 100% consensuel ? Comment peut-on encore faire toute une campagne pour les élections européennes sans ouvrir un débat aussi majeur, sauf à considérer que la PAC suffit au bonheur de l’électeur ?
Sur le fond, Jacques Caplat déroule en effet un raisonnement convaincant. La société agricole d’après guerre s’est laissée emporter comme tout le monde dans l’euphorie des trente glorieuses. Le modernisme, pour toute une génération d’agriculteurs, c’était de montrer l’obsolescence de l’image du bouseux. On a fait du paysan un chef d’entreprise, on a sorti la nature du débat pour expliquer aux fermiers qu’il n’y avait rien de plus facile à dominer que ce truc là. Et puis, comme le démontre parfaitement l’auteur en décrivant les différences entre l’agriculture conventionnelle et la biologique, la nature a des qualités sur le long terme qu’aucun chimiste ne peut atteindre.
L’ouvrage de Jacques Caplat a une autre qualité militante qui est de nous désembrouiller dans la sémantique mise en œuvre par les différents acteurs pour, le plus souvent, entretenir le flou sur leurs intentions. Définir le conventionnel et le biologique n’est pas si simple qu’il n’y paraît et la clarté doit être de mise, Jacques Caplat s’y attèle avec succès.
Parmi les constats d’échec de la politique agricole d’aujourd’hui que souligne l’auteur, on retiendra l’organisation du système en filières verticales. « L’agroalimentaire contemporain s’est construit autour d’une idée fixe : réaliser des économies d’échelles suivant une logique dite « verticale », c’est à dire autour d’une activité donnée, spécialisée. » Jacques Caplat considère que « l’échelle verticale conduit à nier le territoire, à distendre le lien entre agriculture et société. Plus encore, elle pousse à l’immobilisme et devient un authentique facteur de crise. »
Alors, il faut détricoter et, disons le franchement, on reste admiratif du plan précis imaginé par l’auteur pour remettre quelques compteurs à zéro, faire comprendre au monde agricole qu’il faut passer en mode désescalade pour éviter de se mettre dans une impasse qui toucherait l’humanité entière. Le postulat de Caplat repose sur la simple idée que jamais rien ne s’est avéré inéluctable dans l’histoire des civilisations et que ce qui a été fait à une époque peut être défait et reconstruit autrement dans un contexte différent. Réformer la fiscalité du travail pour créer des emplois à la ferme ? C’est possible. Et réduire la taille des fermes ? Ca va demander un peu de pédagogie, mais on va y arriver. Rétablir la réalité des prix sur un marché international ? Oui, bien sûr, ça va nécessiter quelques heures supplémentaires à nos fonctionnaires bruxellois, mais c’est jouable. Fort heureusement, Jacques Caplat admet quand même les obstacles. Sous un chapitre judicieusement intitulé « La transition n’est pas un long fleuve tranquille », il précise qu’« il serait illusoire d’imaginer la transition d’une ferme vers l’agriculture biologique comme une trajectoire régulière et rectiligne. L’évolution de l’agriculture conventionnelle vers la bio implique des changements progressifs et une rupture intellectuelle. »
Voilà sans doute le fin mot de l’histoire et le fil ténu qui peut faire basculer tout l’enthousiasme politique de l’auteur. Jacques Caplat semble être un Rousseauiste convaincu qui croit que l’homme est bon et que sa conscience aigüe de sa place dans l’évolution de la planète va l’amener à une « rupture intellectuelle ». On aimerait tant être aussi croyant.
Changeons d’agriculture. Réussir la transition
Auteur : Jacques Caplat
Editions Actes Sud / Domaine du possible
Date de parution : mai 2014
Nombre de page : 160 pages
Format : 140 x 190 mm
Prix indicatif : 17€ / livre existant en version numérique
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