On a bien du mal à croire les dernières séquences de « Et l’homme créa la vache », documentaire édifiant où l’on découvre à Balcarce en Argentine, Rosita, une vache modifiée, porteuse de deux gènes de femmes qui lui permettent de produire du lait aux composantes nutritionnelles similaires à celles du lait maternel. Et pourtant, un petit tour du réalisateur Jean-Christophe Ribot dans les locaux de l’entreprise Biosidus montre que celle-ci ne considère nos amies les vaches que comme de vulgaires bioréacteurs bientôt destinés à fabriquer aussi des médicaments!
Comment en est-on arrivé là? Et bien en commençant par le commencement : la domestication. Entendez par là que l’homme ne laisse plus l’animal se reproduire au petit bonheur la chance de sa vie sexuelle. Vie sexuelle est d’ailleurs une bien grande expression quand on s’appelle Jocko Besné, que l’on est un taureau star de la race Prim’Holstein et que l’on affiche fièrement avoir donné naissance à 400.000 filles dans 60 pays qui ont rapporté 15 millions d’Euros, le tout sans jamais avoir vu une seule vache de près. Le documentaire de Jean-Christophe Ribot marie avec talent la vulgarisation de données scientifiques et leur mise en oeuvre dans la réalité quotidienne des fermes. Dans la version de bureau, ça donne cette scène incroyable d’un jeune fermier choisissant sur catalogue numérique le sperme qui va inséminer ses vaches. On coche avec la souris sur l’option sexe, l’option avec ou sans corne, les pis plus courts pour mieux correspondre aux normes des robots de traite étant passés en mode obligatoire. Dans la version plus crue, le documentaire n’hésite pas à vous montrer plusieurs séquences d’éjaculation de taureau, d’insémination artificielle des vaches, d’accouchement par césarienne et puis aussi d’abattoirs pour boucler la boucle, amis végétariens, passez votre tour!
Toute cette chaine de production normalisée n’aurait pas été possible si au début des années 2000 l’étape ultime du séquençage du génome des vaches n’avait été franchie. On connait désormais l’ADN du bestiau, reste plus qu’à en faire ce que les critères de productivité exigent. Au fond, rien de très nouveau par rapport à la fordisation qui a fait les beaux jours de l’industrie automobile sauf qu’ici on a à faire à du vivant. Et c’est probablement là que ce superbe documentaire porte sa plus grande faiblesse. Car le choc des images emporte tout sur son passage, dont les paroles essentielles de l’auteur Jean-Christophe Bailly – notamment auteur de ce merveilleux livre « Le dépaysement »-, mais surtout de la philosophe des sciences Vinciane Despret. Tous deux remettent les pendules à l’heure du rapport de l’homme avec l’animal en mettant le doigt là où ça fait mal, en expliquant pourquoi à la fin de cette heure passée avec les vaches d’aujourd’hui et Rosita, la vache humaine, le malaise est persistant.
Et l’homme créa la vache
Documentaire de Jean-Christophe Ribot
Arte 19 novembre à 22h35 et sur Arte +7
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