Il a disparu mais depuis les années 2000, les producteurs français ne veulent plus qu’on leur impose la « tomate mondialisée« , répond Laurent Bergé, producteur à Nantes et président de l’AOP Tomates et Concombres de France. Cette Appellation d’Origine Protégée réunit un millier de producteurs et représente 65% de la production française, on a posé trois questions à Laurent Bergé.
Pourquoi le goût de la tomate a-t-il quasiment disparu?
En France, on vend 900.000 tonnes de tomates par an, dont 85% en grande distribution, et le pays en produit plus de 500.000. Pour répondre aux contraintes de la distribution, les semenciers ont sorti des graines d’hybrides dites « long life », faites pour l’exportation et supporter de longs voyages en bateau. Au début des années 1990, la tomate Daniela, issue de ces sélections génétiques, pouvait rester ferme et rouge pendant trois semaines, mais sans goût. Deuxième facteur néfaste: en Espagne, au Maroc ou aux Pays-Bas, on récolte les tomates à des stades de maturité très clairs. Sur un code de coloration qui va de 1 à 10, on les cueille souvent à 2, alors qu’il faudrait être à 6 ou 7 en lumière naturelle. Troisième facteur: en conservant les tomates en chambre froide ou en réfrigérateur, le distributeur ou le consommateur tue le développement des arômes et des parfums et casse le processus de maturité. La tomate ne supporte pas les températures inférieures à 12 degrés, or toute la logistique alimentaire en France se fait en dessous de 8 degrés!
Quand avez-vous pris conscience du problème?
Le marché français est parmi les plus qualitatifs et exigeants, avec les chefs cuisiniers. Nous avons tenu compte des remarques, notamment avec l’aide de l’Inra. Nous avons aussi depuis 1998 le conservatoire de la tomate en Indre-et-Loire, fondé par Louis-Albert de Broglie, qui cultive près de 700 variétés sur les 10.000 qui existent dans le monde. Au début des années 2000, les producteurs français se sont donc peu à peu débarrassés de la Daniela pour d’autres variétés. Nous comprenons le besoin des semenciers d’avoir des hybrides stables mais nous ne voulons plus nous laisser imposer la tomate mondialisée. Depuis cinq ou six ans, les consommateurs qui se plaignent encore sont ceux qui achètent des tomates importées ou hors saison.
Quelles autres actions avez-vous mis en oeuvre?
En septembre 2015, la profession a publié un livre blanc pour essayer de comprendre les écarts de perception entre la société et les producteurs. Nous avons aussi introduit des insectes comme les coccinelles dans les serres pour une culture plus raisonnée, et nous faisons des opérations portes ouvertes. Mais nous avons encore à régler le problème de la logistique et de la température. Si la grande distribution ne s’empare pas de ces problèmes, à un moment donné on ne pourra plus leur donner nos produits. »
Propos recueillis par Isabel MALSANG pour AFP
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