Analyse Un oeil sur le monde

Où en est-on de l’embargo russe sur les produits alimentaires européens?

15.01.18

Décrété par Vladimir Poutine en août 2014, l’embargo russe sur les produits alimentaires européens va durer au moins jusqu’à fin 2018. Quelles en sont les conséquences pour les producteurs de l’Hexagone ? A quel point l’agriculture française est-elle impactée ?

Le 17 mars 2014, les 28 pays de l’Union Européenne votent à l’unanimité  des sanctions économiques contre la Russie. Des mesures décidées pour protester contre l’annexion de la Crimée. Ces sanctions portaient essentiellement sur l’interdiction de séjour de dirigeants russes en Europe, la suspension des prêts aux banques publiques russes, et un embargo sur les ventes d’armements. Trois mois plus tard, le 6 août 2014, la Russie réplique et décrète à son tour un embargo sur l’importation des produits et marchandises venant d’Europe, des États-Unis, de Norvège, d’Australie et du Canada. Cet embargo a surtout touché les produits alimentaires, provoquant l’inquiétude des producteurs de l’UE et la consternation de la population russe.

Initialement prévues pour six mois, les sanctions européennes sont régulièrement prolongées, incluant à chaque fois de nouveaux noms de compagnies russes ou de personnes publiques. La dernière prolongation de ces sanctions a eu lieu en décembre 2017. En face, l’embargo russe s’installe lui-aussi dans la durée. Tour à tour, d’autres pays sont ajoutés à la liste établie par le Kremlin. En juin 2017, l’embargo est à nouveau prolongé, cette fois au moins jusqu’à fin 2018. Les deux économies, européenne et russe, sont donc bien parties pour continuer leur boycott respectif tout au long de l’année 2018.

La situation désastreuse de l’agriculture française n’est pas due à l’embargo russe

Retentissant comme un coup de tonnerre dans le ciel serein du commerce franco-russe, l’embargo avait de quoi inquiéter le consommateur russe et le producteur européen. En 2013, la dernière année avant les mesures d’hostilités, la Russie importait 35 % de sa consommation alimentaire. Revendiquant haut et fort le nouveau concept de « substitution d’importations », le Kremlin a pourtant dû rectifier son tir deux semaines à peine après l’annonce de l’embargo. Des produits européens indispensables pour le développement de la production locale, tels que les alevins de saumon et de truite, ou encore les semences de pomme de terre, figuraient sur la liste initiale. Le gouvernement a dû les enlever via la publication d’un supplément spécial au premier décret.

Pour les pays de l’Union européenne, la décision soudaine et brutale des pouvoirs russes avait au premier regard l’allure d’une catastrophe. Trois ans et demi plus tard, les chiffres montrent que la situation désastreuse de l’agriculture n’est pas due à l’embargo russe mais à ses propres problèmes structuraux, couplés à la dépression économique. La Russie, marché agroalimentaire certes très important, n’était pas pour autant la première destination des exportations européennes. En 2013, la Russie ne représentait que 9 % du total des flux commerciaux de l’UE, pour un montant de 8 à 10 milliards d’euros. A la même époque, la France exportait pour 756 millions d’euros de produits alimentaires et agricoles vers la Russie. Une somme qui ne représentait que 3% de la production agricole française, et qui mettait la France au 9e rang parmi les exportateurs de produits alimentaires vers la Russie.

Conséquences pour la France

« Conséquences dramatiques de l’embargo russe : l’économie de l’UE mise KO », titrait en 2017 Sputnik, media russe que le président Emmanuel Macron a qualifié « d’organe d’influence » lors de sa rencontre avec Vladimir Poutine. Et en regardant de près les chiffres que Sputnik omet dans son article, on se rend compte que l’embargo n’a pas envoyé la France au tapis.

D’abord, avec 3 % de sa production qui partait vers la Russie, la France n’a jamais été un grand fournisseur de ce pays. Mais surtout, environ un quart de ce volume n’est pas concerné par l’embargo. Les vins et spiritueux, qui constituaient 22 % du volume agricole exporté vers la Russie, ne font pas partie de la liste des produits interdits et continuent d’être exportés. Quelques produits, comme les fromages et produits laitiers sans lactose, échappent également à l’embargo. Les produits laitiers, la viande porcine et les fruits et légumes, sont – dans l’ordre – les secteurs les plus touchés par les mesures. Pourtant les produits laitiers, filière la plus douloureusement touchée, ne représentaient avant l’embargo qu’environ 100 millions d’euros, soit 1,5 % des flux commerciaux de produits agricoles et alimentaires vers la Russie.

La filière de la viande porcine, qui a souffert également, a trouvé d’autres marchés pour exporter ses produits, notamment vers la Chine et Hong Kong qui achètent désormais 53,7 % des exportations de l’Union européenne. 2016 est même devenue l’année record pour les exportations de porc de l’UE (plus de 4,1 millions de tonnes). « Sur les huit premiers mois de l’année 2016, la Chine est devenue le premier client des entreprises françaises exportatrices. Les volumes à destination de ce pays ont quasiment doublé par rapport à la même période en 2015, pour se situer à plus de 100 000 tonnes, et 22 % de part de marché à l’export », relate la filière porc.

Même pour le secteur du chou où la France se plaçait première parmi les fournisseurs européens de la Russie, l’embargo n’a joué qu’un rôle circonstanciel dans l’aggravation de la situation des producteurs.  Telle est l’opinion d’Agnès Le Brun, maire de la ville bretonne de Morlaix , où des agriculteurs ont manifesté en 2014 leur désespoir en brûlant un centre des impôts.  Les exportations de la production locale de choux-fleurs ont été fortement diminuées suite à l’embargo russe. Dans sont interview à la rédaction russe de  RFI datant de la même époque, la maire explique que dans la révolte des producteurs « il y a plusieurs facteurs. C’est la production légumière qui est en sous-consommation, la surproduction à cause des conditions météo et, en effet, l’embargo russe. Mais on n’est pas complet si on n’ajoute pas à ces trois circonstances – parce que ce sont des circonstances – quelque chose de beaucoup plus profond, c’est-à-dire, l’épouvantable charge administrative », détaille Agnès Le Brun, évoquant les contrôles, les règlements qui changent en permanence, et la marge de la grande distribution qui se fait au détriment des producteurs. Autant de causes profondes qui peuvent s’appliquer non seulement à la filière légumière mais également à d’autres domaines de production agricole.

L’impact de l’embargo se traduit finalement dans les conséquences indirectes que la France est en train de subir. Comme d’autres pays européens, la France perd ses parts de marché russe, laissant la place aux pays comme le Chili, le Brésil ou la Chine. D’autre part, l’Allemagne, la Pologne, les Pays Baltes, les Pays-Bas ou encore l’Espagne, qui ont été beaucoup plus frappés par l’embargo, sont en train d’écouler l’excédent de leur production agricole à l’intérieur même de l’UE. Face à cet afflux, la France, dont la compétitivité est faible, est également en train de perdre ses parts dans le marché communautaire.

Conséquences pour la Russie

Les éleveurs français de porc avaient déjà vu leurs produits interdits depuis février 2014, bien avant l’embargo, pour des motifs sanitaires, notamment suite à quelques cas de peste porcine dans l’Est de l’Europe, qui ont étrangement coïncidé avec les premières tensions politiques. La Russie n’en est pas à son premier embargo alimentaire. En 2005, la Pologne, qui critiquait activement le Kremlin, a vu sa viande interdite d’entrée en Russie. En 2006, les produits géorgiens ont subi le même sort, ainsi que les vins de Moldavie et les conserves de poisson venant de Lettonie. Le lait de Biélorussie a été frappé d’interdiction en 2009, le brandy de Moldavie en 2011, sans parler des nombreux embargos alimentaires à l’encontre de l’Ukraine. Prétextant à chaque fois des « problèmes sanitaires », la Russie répondait en fait à certaines candidatures aux élections dans les pays concernés, ou à d’autres décisions non souhaitées par le Kremlin.

Mais c’est en 2014, suite à l’embargo contre l’UE, que les Russes ont pour la première fois suivi sur leur écrans télé les reportages consternants où les bulldozers écrasaient des tonnes de fruits et légumes frais, des fromages et des volailles européennes, tandis que les prix des produits alimentaires dans le pays augmentaient de 34% en trois ans. Entre autres, une vidéo a connu un succès viral sur les réseaux sociaux : elle montrait  trois policiers en train de lire une sentence à trois oies hongroises « démasquées » dans un supermarché. Les volailles ont été ensuite transportées  sur un terrain militaire et passées sous un bulldozer.

Enfin, certains pays proposent leurs services en tant qu’intermédiaires, ce qui permet en partie de contourner les interdictions. Biélorussie, Kazakhstan ou encore Maroc ont soudainement augmenté le volume de leur commerce avec la Russie, en ré-étiquetant les produits européens. En trois ans d’embargo, la Biélorussie a augmenté ses exportations vers la Russie de fruits et légumes de 30 % , de viande de 50 %, et multiplié par 7 ses exportations de poisson surgelé. Pas si mal pour un pays qui n’a pas de débouché maritime.

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