Analyse Projet de loi agriculture et alimentation

Les tenants d’une interdiction du glyphosate gravée dans la loi ont perdu la bataille

28.05.18

Engagement présidentiel, la sortie du glyphosate d’ici 2021 a commencé à provoquer de vifs débats lundi à l’Assemblée, le ministre Stéphane Travert refusant de l’inscrire dans la loi agriculture et alimentation comme le lui demande une partie de sa majorité et de la gauche.

Après la décision de l’Union européenne en novembre de renouveler la licence de l’herbicide controversé pour cinq ans, Emmanuel Macron avait promis que la substance, principe actif du Roundup de Monsanto, serait interdite en France « au plus tard dans trois ans ». En février, cependant, le ministre de la Transition écologique Nicolas Hulot s’était dit prêt à envisager des « exceptions » pour les agriculteurs qui ne seraient pas « prêts en trois ans » à se passer du glyphosate – une substance jugée cancérogène par l’Organisation mondiale de la santé. Mais dans le projet de loi du ministre de l’Agriculture Stéphane Travert, examiné en première lecture au Palais Bourbon pour le septième jour d’affilée, point d’article sur le glyphosate.

Y figurent en revanche des mesures pour réduire les pesticides (interdiction des remises, rabais et ristournes, encadrement de la publicité…), auxquelles les députés ont donné leur feu vert. M. Travert ne veut « pas d’interdiction sans solution pour les agriculteurs» . L’objectif fixé par le président « nous permet dès maintenant de mobiliser la recherche et l’innovation » pour des alternatives, a-t-il insisté lundi. Des élus de plusieurs groupes, y compris certains Marcheurs comme Matthieu Orphelin, proche de Nicolas Hulot, espèrent une « programmation raisonnée de la fin du glyphosate » gravée dans la loi. Un amendement cosigné par une cinquantaine de députés LREM prévoyant l’échéance du 1er mai 2021, avec des dérogations possibles jusqu’en 2023, pourrait être examiné en fin de soirée.

Des amendements notamment de la commission du Développement durable de l’Assemblée et de l’ex-ministre PS Delphine Batho, qui posaient un terme en 2021, ont été massivement rejetés. Même sort pour un amendement prévoyant cette échéance mais avec des dérogations possibles jusqu’en 2023, repoussé par 63 voix contre 20. La proposition était portée par Matthieu Orphelin (LREM), proche de Nicolas Hulot, et cosignée par une cinquantaine de membres du groupe majoritaire.

Chemin de crête

Deux pétitions ayant rassemblé « plus de 400.000 Français nous disent agissez ensemble» , a lancé M. Orphelin, en référence notamment au texte soutenu par 30 organisations (foodwatch, Greenpeace, Les Amis de la Terre…). « La loi doit au minimum installer une base légale pour une future interdiction du glyphosate, pour crédibiliser le plan d’action de sortie» , a jugé auprès de l’AFP Pascal Canfin, directeur général du WWF. Delphine Batho, ancienne ministre socialiste de l’Écologie devenue députée non-inscrite, défend également un amendement pour une sortie du glyphosate en 2021 et prône « l’élimination des pesticides » en raison du « compte à rebours pour la santé humaine » et « la biodiversité» .

Communistes et Insoumis sont favorables à un terme au glyphosate. Avec les pesticides, « ils se retrouvent dans les aliments que l’on mange tous les jours» , ce qui en fait « un scandale sanitaire majeur» , a dénoncé Loïc Prudhomme (LFI). Sébastien Jumel (PCF) a cependant posé comme condition « un accompagnement pour les agriculteurs» . « Nous sommes sur un chemin de crête» , a jugé le socialiste Dominique Potier. Le MoDem demande également un « équilibre » sur « ce produit symbole des débats» . La droite est farouchement contre une telle inscription: le patron des députés LR Christian Jacob, ancien syndicaliste agricole, a assuré que « pas un agriculteur ne souhaite utiliser davantage de produits phytosanitaires» , et appelé à ne pas « pénaliser (leur) compétitivité» .

L’ex-secrétaire d’Etat à la Biodiversité Barbara Pompili (LREM) a dit lundi soir sa « peur » de ne pas arriver à « tenir » la promesse présidentielle « dans trois ans ». En soutien, l’Insoumis Loïc Prud’homme a jugé le sujet « emblématique de ce qu’est le renoncement du gouvernement sur le modèle agricole ». La droite et le centre se sont opposés à ces amendements, Christian Jacob (LR) appelant notamment à ne pas « pénaliser les agriculteurs» . Sur fond de « controverse scientifique sur sa dangerosité» , le ministre a estimé nécessaire d’ « approfondir les connaissances » sur le glyphosate même, en vue du prochain débat européen. Ces propos ont fait bondir M. Prud’homme, qui a rappelé les « Monsanto papers », des documents déclassifiés par la justice américaine et montrant, selon les médias, que le groupe américain a pesé sur la rédaction d’études scientifiques.

Le puissant syndicat agricole FNSEA s’adressait en parallèle sur Twitter aux députés: « Nous sommes au travail, faites-nous confiance! Des solutions oui, des interdictions non!» . « La profession s’est engagée à réduire l’usage et l’impact des pesticides avec 40 organisations et 4 ministères, via un contrat de solutions» , a détaillé la présidente de la FNSEA, Christiane Lambert, qui « espère que les députés s’en tiendront au pragmatisme pour ne pas trop alourdir la barque des agriculteurs» . De son côté, la Confédération paysanne a réitéré sa demande « d’interdiction du glyphosate dans 3 ans» . En début de soirée, M. Travert a rétropédalé sur un sujet lié: il s’agissait de permettre d’interdire ou encadrer l’utilisation des pesticides à proximité des résidences habitées, via un amendement gouvernemental de dernière minute. Le ministre l’a retiré face à une large levée de boucliers de la droite, du centre et du MoDem, qui s’inquiétaient du manque de précisions ou des conséquences pour les agriculteurs. « Il faut avancer car il y a une demande forte de la société» , a cependant déclaré le ministre.

Par Anne Pascale Reboul pour AFP

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