Tandis que la loi Agriculture et alimentation, qui prévoit un durcissement des sanctions contre les mauvais traitements, revient aujourd’hui à l’Assemblée, les éleveurs – qui vivent mal d’être régulièrement montrés du doigt par les associations – ont assuré prendre en compte le bien-être animal dans leurs pratiques, lors des débats du Salon international de l’élevage (Space) de Rennes.
Chez les éleveurs, les vidéos choc de poussins broyés vivants ou d’animaux reprenant connaissance à l’abattoir, diffusées régulièrement par les associations anti-élevage, sont mal vécues. « Je souffre d’être considérée comme une tortionnaire », confie Marie-Line Hemery lors d’un débat organisé par l’Institut du Porc (Ifip). A la tête d’un élevage de 3.500 porcs, la Normande s’est inspirée du Royaume-Uni pour améliorer le bien-être de ses animaux. « Dans les années 1970, il fallait produire pas cher, on est partis sur des normes très intensives sans évoquer le bien-être », se souvient-elle.
En 2010, l’éleveuse a abandonné les cages, la castration des porcelets, les antibiotiques, et fournit une alimentation « souple » ainsi que des jouets à ses bêtes. « Je suis très heureuse de voir mes animaux gambader dans des grands parcs. Quand l’animal va mieux, je vais mieux », reconnaît-elle. Fin août, le ministre de l’Agriculture Stéphane Travert a présenté un plan « bien-être animal », dont certaines mesures doivent figurer dans la loi Agriculture et alimentation, comme le doublement des sanctions en cas de mauvais traitement. Mais pour les associations, le compte n’y est pas. « C’est un rendez-vous raté », assure Léopoldine Charbonneaux, directrice France de l’association CIWF. « On attendait du législateur qu’il prenne en compte les attentes sociétales, comme sur l’élevage des poules en cage dont ne veulent plus les Français, mais tout reste au bon vouloir des filières et il n’y a pas d’engagement contraignant ». Sur ce point, la filière oeufs s’est engagée à limiter à 50% la proportion d’oeufs issus d’élevages en cages d’ici 2022, contre deux tiers aujourd’hui.
Des chartes « bien-être »
« Les pays d’Europe du Nord sont historiquement plus sensibles à la question du bien-être animal« , rappelle Christine Roguet, économiste à l’Ifip. « Ils ont des ONG de défense des animaux de ferme très puissantes, très connues des citoyens, qui ont créé des labels pour informer le consommateur ». En France, toutes les filières (producteurs, transformateurs) travaillent sur des « indicateurs de bien-être » pour tenter de définir un socle commun qui tienne compte de la diversité des exploitations. Parmi les initiatives, l’industriel Vallégrain envisage d’obliger ses 95 éleveurs porcins à se former à la question du bien-être animal, tandis que la Cooperl, également spécialisée dans la production porcine, expérimente un bâtiment baigné de lumière naturelle où les animaux ont accès à différentes zones de vie, sans émanation d’ammoniaque.
Si la loi considère déjà depuis 1976 l’animal comme un « être sensible », l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation (Anses) a suscité une petite révolution en avril en définissant le bien-être animal comme un « état mental et physique positif lié à la satisfaction de ses besoins physiologiques et comportementaux, ainsi que de ses attentes ». « On a longtemps considéré que si les animaux étaient en bonne santé et produisaient, c’est qu’ils allaient bien », souligne Gilles Salvat, directeur général délégué. « Mais le bien-être est plus large que la bientraitance et aujourd’hui, on travaille sur le bien-être pour améliorer la santé », poursuit-il. Alain Boissy, directeur du Centre national de référence (CNR) sur le bien-être animal, créé en 2017, confirme que « la recherche s’est beaucoup accélérée sur les attentes et les frustrations des animaux ». « On est passé d’une obligation de moyens à une obligation de résultats », souligne-t-il.
Soucieux de répondre aux nouvelles exigences de leurs clients, les distributeurs élaborent déjà des chartes « bien-être », souvent en partenariat avec des associations. Des initiatives qui, selon Alain Boissy, risquent « de créer la confusion » dans l’esprit du consommateur. Caudectomie (ablation de la queue d’un animal), castration, débecquage… beaucoup de sujets restent toutefois « difficiles », reconnaît Etienne Gangneron (FNSEA), pour qui les éleveurs ne changeront leurs pratiques que « s’ils ont l’assurance d’une meilleure alternative » et si les progrès consentis sont « assortis d’une amélioration des revenus ». Or les attentes des citoyens ne sont pas, selon lui, toujours celles du consommateur.
Par Hélène DUVIGNEAU pour l’AFP
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