Analyse
Agriculture grisonnante recherche jeunes paysans et surtout paysannes
Remplacer un paysan sur deux dans les dix ans: cette tâche immense, à laquelle doit faire face l’agriculture française pour ne pas périr, se heurte à plusieurs écueils, entre l’affaiblissement de l’agriculture familiale et des paysans parfois mal préparés à lâcher l’accomplissement de toute une vie.
« C’est le vrai défi de l’agriculture: dans les dix ans à venir, un paysan sur deux va quitter le métier d’agriculteur, un sur trois dans les cinq ans« , constate Raymond Vial, responsable pour les chambres d’agriculture du dossier installations et transmissions. Et ce « papy-boom » rural pourrait encore s’aggraver, juge Jean-Luc Poulain, président du Salon de l’agriculture: « On voit beaucoup de responsables d’exploitations qui arrêtent avant l’âge« , du fait des « conditions économiques« .
Parmi les freins identifiés à l’installation de nouveaux agriculteurs revient souvent le bouleversement affectif lié à la cession d’une exploitation parfois dans la famille depuis des générations. « Réussir sa transmission, c’est permettre la réussite d’un projet autre que le sien« , résume Jacques Abadie, sociologue à l’Ensat de Toulouse, dans JA Mag. Une maxime que semble avoir fait sienne Jean-Baptiste Loyatho, éleveur de cochons dans les Pyrénées-Orientales et producteur de charcuterie commercialisée en vente directe. « Je n’ai pas voulu faire hériter mes enfants, j’ai voulu faire un projet avec eux« , explique cet éleveur de 59 ans, qui a associé toute sa famille à l’affaire.
« Il y a un aspect affectif. Mes parents sont partis d’un cochon, ils ont mis toutes leurs tripes dans l’entreprise qui a 25 ans, exactement mon âge« , explique sa fille Leire. Mais ce modèle familial de transmission a du plomb dans l’aile. « Aujourd’hui, les installations hors cadre familial représentent 30%. Je pense qu’on arrivera à 50% dans les cinq ans« , indique M. Vial. Faiblesse des revenus? Mauvaise image du secteur? Raymond Vial balaie toute hypothèse de désaffection: « On oublie de dire que le monde agricole est un monde où il y a beaucoup de célibataires, donc il n’y a pas eu assez d’enfants. »
La femme est l’avenir des sols
Le nombre de porteurs de projets d’installation qui n’étaient pas d’origine agricole représentaient un peu plus de 62% des effectifs en 2017, selon les chambres d’agriculture. Ils ont en partie contribué à un rebond de « 20% d’installations en 2018« , selon le président des Jeunes agriculteurs, Jérémy Decerle. « Malgré le manque d’attractivité, de perspectives dans ce métier, les jeunes ont quand même envie d’y venir. » Malgré tout, rappelle Raymond Vial, en France, « dans le meilleur des cas, on est à une installation pour deux départs« .
Il évoque quand même quelques motifs d’espoir. Ainsi, la réforme de la dotation jeunes agriculteurs, une aide financière pour le repreneur qui a été revalorisée, notamment avec l’implication des régions, « porte ses fruits« , selon lui. Cette aide, financée à 80% par l’Europe, augmente notamment si le repreneur met en place un projet agro-écologique ou s’il s’installe hors cadre familial. Elle a bénéficié à quelque 5.000 nouveaux paysans l’an dernier. Parmi eux, Laure Darphin, jeune éleveuse de Côte d’Or. « Une entreprise agricole, c’est une entreprise, et quand on commence, on a besoin de beaucoup d’argent« , explique-t-elle. N’étant pas héritière, elle a bénéficié de l’aide de l’association Terre de liens pour acquérir ses terres, mais a tout de même investi pas moins de 200.000 euros pour acheter bovins et tracteur.
« Je ne sais pas s’il y a d’autres métiers où on te dit Si tu t’engages et que tu joues le jeu, on te donne 25.000 euros« , relève-t-elle. Elle porte en elle, sans le savoir, une partie des espoirs de Raymond Vial, pour qui les femmes vont « booster les choses« . Aujourd’hui, déjà 30% des chefs d’exploitations sont des cheffes, et « ça dépend des filières, mais on est entre 40% et 50% de filles dans les écoles d’agriculture« , ajoute-t-il, saluant « une vision différente » de la vie et de l’agriculture. « On le voit dans la viticulture, où elles se différencient souvent, elles n’ont pas la même approche, en matière de traitement, dans la vente, de fabrication du vin. »
Par Nicolas Gubert pour AFP
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