Tentons une typologie des manifestations liées à la nourriture et/ou à la gastronomie, que l’on peut au fond regrouper en trois familles.
La première, dont le World Omnivore Tour est encore un éminent représentant, se caractérise par un événement où le chef est la vedette absolue, où les démonstrations de savoir-faire se doivent d’être spectaculaires et où la scène est transformée en studio de télévision en super HD. Le spectateur y est souvent un professionnel ou un semi-professionnel, voire un étudiant qui vient apprendre de ses maîtres. La seconde catégorie est parfaitement représentée par MAD, la rencontre initiée par René Redzepi à Copenhague et qui va fêter sa quatrième édition cet été. Parfaitement élitiste dans son concept et sa production, mais pour la bonne cause, puisqu’il s’agit de faire fructifier les idées dans la communauté des chefs, d’élargir le spectre de la pensée au-delà de leur statut de patron de restaurants et de mondialiser les problématiques. La troisième est événementielle et pose la performance comme le sujet même de la réflexion. Gelinaz en est le leader et Andréa Pétrini, qui a également inventé Cook it Raw, le roi incontestable. On pose avec lui les problématiques à travers une expérience unique. Comme par exemple, manger 23 fois le même plat classique du siècle dernier, réinterprété par autant de chefs du monde entier, à l’occasion de Gélinaz Gand ou Lima. Là aussi, l’expérience est réservée à quelques happy few, charge à eux de faire circuler les idées qui en émergent.
La première qualité du symposium Terroir qui vient de se tenir à Toronto est qu’il ouvre une quatrième voie. Créée en 2007, la manifestation a réellement pris son envol en 2012 en proposant un savant mélange du meilleur des trois familles précédentes, trouvant ainsi son style en proposant une nouvelle option en terme de public. Il n’est en effet pas nécessaire d’être cuisinier, journaliste culinaire ou spécialiste de quoi que ce soit, pour venir enrichir sa pensée à Terroir.
L’édition 2014 qui s’est tenue la semaine dernière (12 mai) est là pour le démontrer. La diversité des intervenants et la pertinence de leurs propos faisaient de cette journée un succès tout public. Entre Albert Adria (interview vidéo ici) qui est venu donner, schémas à l’appui, les pensées de créateur qui le traversent à la veille de l’ouverture d’un nouveau restaurant chez lui à Barcelone, en passant par la chef Newyorkaise Amanda Cohen (interview vidéo ici) qui explique pourquoi « les femmes chefs sont aussi des chefs » et une redéfinition du « rural » proposée par le comédien Shaun Majumder, le spectre était large.
Autre idée qui fonctionne : le focus sur un pays invité, cette année, la Suède. Jouant à la fois sur des démos et sur les idées développées par ce petit pays en nombre d’habitants mais grand en terme de dynamisme culinaire, on a pu apprécier tout aussi bien les chefs Magnus Ek, désormais dans les circuits de la célébrité, que la beaucoup plus jeune Frida Ronge de Göteborg ou bien une activiste, militante de la cause suédoise comme Fia Gulliksson. Et puis, contrairement à Omnivore, on ne fait pas que regarder les plats à Terroir. On mange, beaucoup, et pas moins de treize chefs, pour la plupart de Toronto, mais aussi des États-Unis, s’occupent de mettre en perspective vos deux heures de lunch. L’idée est évidemment excellente, que vous habitiez Toronto ou à l’autre bout de la planète. Car ces treize propositions simultanées vous permettent de tracer un véritable paysage de cette partie de l’Amérique du nord, notamment en terme de produits.
Enfin, c’est peu dire que l’on a vraiment été impressionné par l’intervention du Newyorkais Nathan Thornburgh, éditeur de Roads & Kingdoms, qui a notamment proposé de remettre la nourriture dans l’actualité en projetant des images d’une grande force. A l’instar de cette soupe, dont russes et ukrainiens se partagent deux versions de la même recette, et qui en dit long sur le conflit actuel.
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