Analyse Politique

Les leçons du « non » Suisse après les deux votations de dimanche sur l’alimentation

Dans un article récent, nous analysions les enjeux de la votation populaire sur l’alimentation qui a eu lieu dimanche dernier en Suisse et qui a vu le « non » largement l’emporter. Et si ce « non » était un bon choix?

La Suisse se distingue en Europe par des débats modèles sur l’avenir de son agriculture et de son alimentation. Ces débats ont débouché sur des « votations populaires ». L’une a porté sur la sécurité alimentaire en septembre 2017 et l’autre portait sur la souveraineté alimentaire dimanche dernier. Il y a donc exactement un an, le 24 septembre 2017, les suisses ont voté pour inscrire dans leur constitution un article consacrant le principe de « sécurité alimentaire ». Ils l’ont accepté avec 78,7% de oui et 21,3% de non, soit environ 1.943.000 de «oui» et un peu moins de 525.000 «non».

L’enjeu était d’importance. Le texte à inscrire dans la constitution était le suivant :
« En vue d’assurer l’approvisionnement de la population en denrées alimentaires, la Confédération crée des conditions pour :
a. la préservation des bases de la production agricole, notamment des terres agricoles ;
b. une production de denrées alimentaires adaptée aux conditions locales et utilisant les ressources de manière efficiente ;
c. une agriculture et un secteur agroalimentaire répondant aux exigences du marché ;
d. des relations commerciales transfrontalières qui contribuent au développement durable de l’agriculture et du secteur agroalimentaire ;
e. une utilisation des denrées alimentaires qui préserve les ressources« .

Ainsi, ce texte a engagé la Fédération suisse dans une voie qui verdit la production agricole en subordonnant le commerce agroalimentaire à la préservation des terres agricoles, à la préservation des ressources naturelles, à la promotion d’une agriculture adaptée au pays et aux saisons. On a plutôt tendance à faire le contraire en France où ce sont les aspects environnementaux qui sont subordonnés au commerce et à la loi du marché.

Aller plus loin

Ils ont tenté d’aller plus loin dimanche dernier en soumettant au vote populaire deux nouveaux textes : l’un visait à inscrire dans la Constitution que « La Confédération renforce l’offre de denrées alimentaires sûres, de bonne qualité et produites dans le respect de l’environnement, des ressources et des animaux, ainsi que dans des conditions de travail  équitables. Elle  fixe les exigences applicables  à la production et à la transformation« . L’autre visait à créer dans la constitution un principe de « souveraineté alimentaire, permettant de favoriser une agriculture  paysanne,  indigène,  rémunératrice  et  diversifiée,  fournissant  des  denrées alimentaires  saines  et  répondant  aux attentes  sociales  et  écologiques  de  la  population« .

Si ces deux textes ont été rejetés, il y a quand même eu près de 1,3 million de suisses qui ont voté « oui » pour chacun d’entre eux. Il y a quatre raisons principales qui expliquent cet échec. Tout d’abord, ils ont eu le sentiment d’avoir déjà fait le nécessaire en votant massivement oui au principe de sécurité alimentaire l’année dernière. Ensuite, les discours officiels et plus largement ceux des opposants ont fait valoir qu’en ajoutant un principe de souveraineté alimentaire et d’alimentation équitable, il y aurait une augmentation des prix des aliments. Les opposants craignaient aussi d’étatiser davantage l’activité agricole et les choix alimentaires. Enfin, on pouvait craindre une désorganisation du commerce interne et international des produits agricoles d’origine suisse.

Voter avec son assiette

En réalité, en arrière plan de ces votations de 2017 et 2018, il y a une autre question, qui n’est pas formulée et qui va pourtant devenir essentielle dans tous les pays. C’est celle de la relocalisation de notre alimentation. Vaut-il mieux se nourrir principalement de ce qui est produit sur notre territoire de vie (ville, région, pays) et accessoirement de ce qui vient d’ailleurs, ou bien l’origine géographique de ce que nous mangeons est-elle, sauf exception, indifférente ? Si cette question non dite est si cruciale, c’est pour deux raisons. Manger local, c’est se donner le pouvoir de considérer le sort des agriculteurs de notre territoire, de contrôler au plus près la qualité de ce que nous mangeons, et de lutter si nous le voulons, à la fois pour la préservation de notre environnement local et contre le dérèglement climatique mondial. Autrement dit, c’est la population qui est souveraine, avec l’appui de l’État. Tandis que manger international, c’est accepter de ne rien savoir de qui a produit, où, dans quelles conditions, avec quelles externalités environnementales ou sociales négatives. C’est alors le marché qui est souverain, avec la domination de grandes sociétés transnationales.

Finalement, les suisses ont  peut-être eu raison de voter « oui » en 2017 et « non » en 2018. Car si la sécurité alimentaire est une responsabilité de l’État, ce qui justifie de l’inscrire dans la constitution,  la souveraineté alimentaire, elle, n’a pas besoin de la constitution car elle ne se décrète pas. Elle se vit. C’est d’abord celle de chacune et chacun d’entre nous, à partir de nos choix gustatifs, nutritionnels et culturels. Elle se construit en votant avec nos assiettes, avec des Amaps, avec du bio et du local dans les cantines scolaires, avec des projets alimentaires territoriaux ambitieux.  C’est pourquoi il faut libérer les initiatives d’associations, de quartiers, de villes, de départements, de régions qui expérimentent des politiques alimentaires locales innovantes, qui visent à reprendre la main sur l’alimentation et qui ainsi construisent la souveraineté en la vivant.

 

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