Culture food À lire (ou pas)

Magnum Opus

05.11.24

Voilà bien longtemps que nous avons renoncé à chroniquer les dizaines d’ouvrages consacrés aux chefs stars, tous plus brillants les uns que les autres dans leur secret espoir qu’un ego dépasse un autre sur ce marché encombré. Alors pourquoi s’intéresser à cet ouvrage qui tourne essentiellement autour d’un restaurant parisien et de son chef ? Tout simplement parce qu’il s’agit d’un livre d’histoire(s) qui fait date.

© Benjamin Malapris

En histoire contemporaine, le modèle indépassable de l’édition reste Patrick Boucheron qui publie en 2017 son « Histoire mondiale de la France ». Pensez donc ! Un livre d’histoire qui fait un succès de librairie avec plus de 100 000 exemplaires vendus, on n’avait pas vu ça depuis des décennies. La recette ? Le livre est une entreprise éditoriale compilant les textes courts et très variés de 122 collaborateurs (132 pour les versions en poche et illustrée), qui narre notre histoire, non pas de notre point de vue gaulois centré, mais avec le regard de nos voisins proches et éloignés, et puis à vous de vous refaire le film.
Nous ne savons pas si notre confrère de Télérama François Chevalier et son compère Stéphane Peaucelle-Laurens d’Entorse Éditions, ont songé à l’entreprise de Boucheron, mais c’est ce modèle qu’ils ont choisi pour raconter une histoire de la cuisine d’une génération, à partir de 99 contributions qui tournent autour d’un lieu unique, un lieu désormais mythique.

La limite entre deux plaques tectoniques en frottement est appelée une limite transformante. Pour les plaques de l’histoire contemporaine de la cuisine de ces vingt dernières années, les protagonistes de cet ouvrage hors norme ont choisi l’épicentre de cette limite transformante, elle est à Paris XIème arrondissement et à un nom, à l’instar de toutes les tempêtes et ouragans : Le Chateaubriand.

Le choix est plus que judicieux parce que l’idée n’est pas de décrire des plats et le talent d’un chef, mais bien de rendre compte d’un Mouvement au sens de l’histoire de la peinture ou du cinéma. Comme il y a eu le Cubisme ou la Nouvelle Vague, le livre suggère que la cuisine contemporaine aurait été traversée par l’Inakisme avec au centre Inaki Aizpitarte, le 100ème personnage du livre, animateur en Chef du Chateaubriand.

Pour qu’il y ait Mouvement, il faut qu’il y ait diversifications des créations, complétudes et divergences, paradoxes et défis, crises et osmoses. Et c’est bien ce que l’on vit à travers la chronologie de centaines de micro-histoires qui, in fine, dessinent un arc narratif précis et suffisamment page turner sans forcément être concerné par la création culinaire. Car ce n’est pas la moindre des qualités de cet ouvrage que de vous entrainer dans des aventures humaines qui dépassent de très loin les problématiques et lubies de foodies hors sol. Certes, les 100 personnages du livre sont tous des passionnés un peu portés sur tout ce qui se mange, se boit et se discute pendant des heures, mais ils ne vous mettent pas dans une relation de sachants à ignorants. Ils parlent de culture du goût et, sauf handicap malheureux, nous en avons tous une.

© Benjamin Malapris

Et pour remettre en perspective toutes ces périodes, au sens de l’œuvre d’un peintre, il faut savoir les décliner dans le temps, précisément le temps de faire histoire et, de fait, on comprend au fil des pages que la bande d’Inaki a été au carrefour de tous les soubresauts de la culture culinaire de ces vingt dernières années.

Et puis, comme le soulignait Victor Hugo, « la forme c’est le fond qui remonte à la surface »,  il y a cette formidable idée de Thomas Couderc et Clément Vauchez, les directeurs artistiques de l’Atelier de graphisme Helmo, d’avoir donné un statut patrimonial à l’ouvrage qui se retrouve déjà dans son édition Pléiade parce que, comme l’indique la page de garde il s’agit bien de « L’œuvre complète ». Une œuvre qui, en creux, signe une fin, la fin d’une histoire qui a changé pour nombre d’entre-nous son rapport à la cuisine de création, la fin d’un Mouvement dont on ne doute pas qu’il va être suivi par un autre, pas encore vraiment né, mais les enfants du Château ont de la ressource.

Le Chateaubriand / Entorse Éditions / 55€ en vente en librairie le 6 novembre ou déjà en ligne ICI

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