MONTRÉAL – Un jour, Pierre et Marie – appelons-les ainsi car leurs noms doivent être tenus secrets, vous comprendrez pourquoi – un jour, donc, Pierre et Marie, deux médecins spécialistes habitant un des beaux quartiers de Montréal, reçoivent un appel de la mairie. « Quelqu’un a porté plainte. Malheureusement, nous devons donner suite. Est-ce vrai que vous gardez des poules dans votre jardin ? ». Pierre et Marie ont dû avouer que oui. Et sans qu’ils aient la chance de s’expliquer, de faire venir un inspecteur pour lui montrer à quel point leurs trois poules étaient heureuses et à quel point leur poulailler était propre et vaste et bien adapté, sans qu’ils aient la chance de faire valoir à quiconque le bien-fondé écologique et alimentaire de leur projet, on leur a dit de s’en débarrasser.
Lorsque je suis allée leur rendre visite, les poules étaient déjà en pension à la campagne, sorte de retraite dans le maquis, histoire de mieux préparer leur retour, un jour. « Une voisine nous a dénoncés », m’a expliqué Marie. Une jeune juriste dont personne n’a jamais connu les réels motifs. Parce que les poules, clairement, ne dérangeaient personne. Le jardin de Pierre et Marie est grand, fermé, abrité. Trois poules, ça ne s’entend à peu près pas. Et puis quand un poulailler produit des décibels, c’est à cause du coq. Odeurs ? Encore là, pas quand il n’y a que quelques bêtes. Et pas quand on est chez des médecins méticuleux. Pierre et Marie ne sont pas les seuls à avoir ainsi choisi de défier ce règlement archaïque de la Ville de Montréal datant de 1966 et interdisant l’élevage de poules urbaines. Depuis qu’un véritable mouvement a émergé en Amérique du nord -il y a environ cinq ans- pour permettre les pondeuses en ville, les poulaillers apparaissent un peu partout, discrètement. Parfois sur les toits. Souvent dans les quartiers plus verts éloignés du centre-ville où l’abri des volatiles est dissimulé derrière une clôture ou un bosquet.
La clé pour que le plan fonctionne, ai-je demandé à tous les éleveurs de poules urbaines clandestines croisés depuis cinq ans ? Garder un petit nombre de poules. Connaître ses voisins. Peut-être même demander leur accord avant d’installer le poulailler. Leur apporter des oeufs frais… Mais même si ce mouvement « underground » fait du chemin, ce n’est pas demain la veille que Montréal changera ses règlements. Un seul arrondissement compte un petit projet pilote permettant l’élevage de poules supervisé par une OSBL depuis 2011. Paradoxalement, on pourrait dire que l’administration municipale marche sur des… œufs. La population est divisée. Et la Société protectrice des animaux a lancé un cri d’alarme l’été dernier, affirmant qu’elle trouvait trop de poules abandonnées.
À l’automne dernier, j’ai interviewé les quatre principaux candidats à la mairie de Montréal. À tous, j’ai posé la question. « Les poules urbaines, vous en pensez quoi ? » Aucun n’a fait preuve du moindre enthousiasme. Au mieux ils se sont mis à rire. Au pire ils m’ont regardé comme si je leur faisais une blague de mauvais goût. Ils savent tous que l’agriculture urbaine a un réel sens économique, alimentaire, humain car elle permet aux citoyens de tous types de revenus d’avoir accès à des produits frais et naturels autrement coûteux sur les marchés montréalais. Mais cette agriculture engagée socialement et écologiquement s’arrête, à leurs yeux, aux limites du potager. Oui aux carottes et aux haricots. Mais des œufs ? Là on exagère… Pourtant les poules cohabitent joyeusement avec les humains urbains depuis des années maintenant dans des villes progressistes comme Seattle – qui les a permises en 1993 — Portland, et même Los Angeles et New York pour ne nommer que celles-là. Au Canada, Vancouver, sur la côte ouest aussi, permet depuis 2013 de garder des poules en ville. C’est populaire au point où le mouvement est en train de créer un certain snobisme de la volaille. On commande des races ancestrales, rares, uniques….
Le projet n’est généralement pas compliqué : un poulailler assez solide pour protéger les poules des ratons-laveurs et autres prédateurs la nuit, de la nourriture, quelques connaissances que les clubs d’éleveurs de poules s’empresseront de partager, un peu de patience car il faut parfois laisser un peu de temps aux poules pour s’adapter à leur environnement… Un jardin clôturé. On peut nourrir les poules de certains déchets de table. On peut leur donner de la moulée bio si on y tient. Pour la traçabilité, et les bonnes omelettes, on fait difficilement mieux.
Toutes les illustrations des Poules Grand Luxe : ICI
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