Ville campagne Alex Drouard et Sam Nahon / Terroirs d'Avenir
L’avenir des terroirs
Alex (Drouard) et Sam (Nahon) sont les moteurs d’une start-up très connue à Paris : Terroirs d’Avenir. Leur succès ne se base pas sur un algorithme ni sur une de ces belles trouvailles qu’aujourd’hui on appelle « concept ». Il est le fruit d’un travail de sélection des meilleures expressions du terroir, qu’il s’agisse de viandes, légumes, savoir-faire ou produits de la mer.
Leur histoire débute en 2008, quand ils prennent part à Terra Madre, le rassemblement des acteurs de l’alimentation que Slow Food organise tous les deux ans à Turin. La richesse des pratiques paysannes les surprend. Un vrai trésor inexploité. Des produits excellents mais orphelins d’un marché. Ils oublient leur diplôme d’école de commerce pour partir explorer le terroir francilien. Puis se mettent à vendre asperges d’Argenteuil, choux de Pontoise, champignons de Paris ainsi que quelques Sentinelles Slow Food françaises (navet de Pardailhan, lentille blonde de Saint-Flour, porc noir de Bigorre) sur un coin de trottoir devant la boulangerie parisienne Du Pain et des Idées. Ils proposent également leur sélection à la restauration : la réaction est enthousiaste, même si les chefs doivent s’adapter au rythme des saisons et aux quantités limitées.
Fin 2012, Alex et Sam réalisent leur rêve initial — mettre ces produits à disposition du plus grand nombre — avec l’ouverture d’une épicerie, une boucherie et une poissonnerie qui seront rejointes en 2015 par une boulangerie. Des boutiques toutes très petites et situées dans la même rue du Sentier, la rue du Nil. Grâce aussi à la présence des 3 Frenchies — le restaurant, le bar à vin et le To Go — et de L’Arbre à Café, un des meilleurs torréfacteurs de la capitale, celle-ci est depuis devenue une des rues gastronomiques de la ville. Aujourd’hui, Terroirs d’Avenir livre quotidiennement une petite centaine de restaurants sur Paris, collabore avec 150 producteurs (dans toute la France ainsi qu’en Italie et en Grèce), compte plus de 50 employés et vient d’ouvrir de nouvelles boutiques rue Jean-Pierre Timbaud, à deux pas de la maison des Métallos, dans le XIème arrondissement.
Je rencontre Sam et Alex le jour de l’ouverture de la poissonnerie Timbaud. Une ouverture à leur image, sans clameur. Ils ont gardé la discrétion et l’humilité des débuts. Une posture qui contraste avec les tempéraments… exubérants de la scène gastronomique, mais qui ne les a pas empêché d’y trouver leur place. Cela tient peut-être à leur attitude d’artisans : ils laissent leur savoir-faire parler pour eux.
Artisans sélectionneurs
Terroirs ne travaille pas que des produits bios (même si beaucoup le sont) ou locaux (mais la production d’Ile-de-France fait toujours l’objet d’une attention particulière). En filigrane de leur sélection : les qualités organoleptiques des produits et le savoir-faire des paysans et artisans. Plutôt que d’appliquer un principe binaire basé sur un label ou un code postal, Alex et Sam ont opté pour un chemin plus compliqué, celui des champs, afin de comprendre les choix des producteurs et leurs contraintes. La sauvegarde de la biodiversité, de la richesse du patrimoine gastronomique (auquel appartiennent autant les pois chiches que le foie gras) ainsi que le soutien à une agriculture durable et un élevage respectueux du bien-être animal sont autant de boussoles dans leurs recherches.
Les maraîchers, par exemple, sont choisis sur le type de semences utilisées (celle reproduites par les paysans eux-mêmes sont privilégiées), les cultures sont autant que possible de plein champ, les traitements minimaux et maîtrisés, quand il y en a. Côté pêche, c’est le type d’engin utilisé (palangre, bolinche, pot, casier…) et le savoir-faire du pêcheur qui priment : la qualité du poisson en dépend, tout comme la préservation de la ressource. Pour les autres protéines animales, les ruminants doivent être alimentés principalement à l’herbe, les volailles et les cochons sont de races rustiques, inadaptées à l’élevage intensif. En un mot, un travail complexe fait de choix au cas par cas et qui, au-delà de s’attacher à préserver la biodiversité végétale et animale, reflète une diversité dans les profils des producteurs et leurs méthodes de culture et d’élevage. Cela implique une relation de confiance, des visites régulières à la ferme et un échange constant avec les paysans.
Le présent et le futur
Leur défi actuel, m’explique Alex, est de garder cet esprit artisanal tout en gérant une équipe devenue importante — très jeune aussi, avec le turn-over qui en découle —, et en leur transmettant passion et savoir. Ce dernier s’acquiert avec le temps, Sam et Alex sont bien placés pour le savoir. « C’est notre signature », poursuit Alex, « et nous continuons à ouvrir de petites boutiques, certes parce qu’elles sont plus humaines, mais aussi pour permettre aux équipes de bien connaitre les produits. »
Ça ne les empêche pas d’être heureux et fiers de ce qu’ils ont accompli. « Ça n’a pas toujours été facile, c’est vrai, nous avons beaucoup appris de nos erreurs » me confie Sam, « mais nous avons ouvert une nouvelle route et si d’autres empruntent aujourd’hui le même chemin, ça veut dire que notre intuition était bonne ». Après, il y a la réalité du quotidien, la logistique parfois compliquée, les aléas climatiques et cette fonction d’accordéon entre les exigences des producteurs, des restaurateurs et des particuliers… sans oublier celles du banquier.
On pense au Chaplin des Temps Modernes et à sa course contre la machine infernale. « En fait, c’est un jeu d’équilibre et pour ça on a été à bonne école… Il y a dix ans, on ramenait la marchandise en RER. Imagine, on faisait ça avec un diable chargé de cagettes d’asperges d’Argenteuil et de choux de Pontoise ! Alors, l’équilibre… » me disent-il dans un sourire avant de retourner à leur rythme effréné.
Une idée simple, un apprentissage par tâtonnements, de l’humilité et beaucoup d’énergie : voilà qui pourrait bien être une définition du verbe entreprendre.
Crédit images : Terroirs d’Avenir
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