Culture food La BnF gourmande

Les légumineuses

16.02.24

Pois, pois chiches, lentilles, fèves ou haricots : cette planche extraite du Règne végétal, immense somme de dix-sept volumes publiés entre 1864 et 1869, présente une belle variété de « gousses et graines légumières ». La BnF vous propose de partir à la découverte de ces légumineuses.

Légendes de la planche 23 « Gousses et graines légumières » : 1. Pois Michaux de Hollande. 2. Pois chiche, garvanche. 3. Pois gros vert normand. 4. Pois de Clamart ou carré fin. 5. Pois Michaux ridé ou de Knight. 6. Pois sans parchemin ou mange-tout. 7. Fève de Windsor. 8. Lentilles : les deux d’en haut sont des lentilles de pays, les trois en-dessous sont des lentilles blondes de Gallardon. 9. Haricot jaune de la Chine. 10. Haricot nain-jaune du Canada. 11. Haricot flageolet. 12. Haricot suisse ou gris de Bagnolet. 13. Haricot Prague jaspé, haricot-châtaigne. 14. Haricot Prague bicolore. 15. Haricot de Soissons. 16. Haricot d’Espagne. 17. Haricot bicolore d’Espagne.

Au sein de la partie consacrée au jardin potager, Le Règne végétal consacre quinze pages aux « gousses et graines légumières ». Ces légumineuses sont cultivées pour leurs graines, consommées sèches le plus souvent, même si certaines peuvent aussi être mangées fraîches, parfois avec leur gousse, ici en majesté au centre de la planche. 

Commençons notre inventaire avec les lentilles, pois chiches, fèves et pois cassés, domestiqués dans le Croissant fertile il y a environ 9 000 ans, avant de parvenir jusqu’en Europe. Offrant la possibilité d’être conservés de longs mois et de constituer des réserves, précieuses en cas de disette, ces légumes secs tiennent, avec les céréales, un rôle essentiel dans l’alimentation. Au Moyen Âge, pois cassé, fèves et pois chiches, appréciés aussi pour leurs vertus roboratives, sont préparés sous forme de purées ou de potages (plats cuisinés dans des pots). Parce qu’ils sont assimilés à la rusticité, à la pauvreté et à la période du carême, ces légumes secs n’ont pas bonne réputation. On estime que leur digestion est difficile, inadaptée aux estomacs délicats. Les élites préfèrent se distinguer du commun en se tournant vers les fèves fraîches, appréciées dès le Moyen Âge et réputées plus légères. Au XVIIe siècle, à la cour de Louis XIV, les petits pois, qu’on ne laisse pas mûrir dans la gousse, font fureur : ils sont cultivés avec le plus grand soin au Potager du roi.

Les haricots sont rapportés d’Amérique au XVIe siècle, mais il faut attendre un siècle pour voir le terme gagner les ouvrages français avec le sens qu’on lui connaît aujourd’hui. Le dictionnaire de Furetière (1690) le recense dans ses deux acceptions, « espèce de fèves » mais aussi « hachis de viande » : les recettes médiévales dites de « hericot » ou « haricoq » ne contenaient pas de haricots, encore inconnus des Européens, mais désignaient en effet un ragoût de viande – de l’ancien verbe « harigoter » ou « haligoter » qui signifie « couper en morceaux, mettre en lambeaux ». Comme les légumineuses évoquées précédemment, les haricots sont méprisés des élites sous leur forme sèche ou « de garde » : on préfère bientôt les haricots verts, frais et dans leur gousse. En 1795, Nicolas Appert met au point le processus d’appertisation qui permet la mise en conserves ou en bocaux. Le XIXe siècle voit l’horticulture gagner toute la société, stimulée par les sociétés savantes et les professionnels, tels que les Vilmorin. Les progrès du froid et la surgélation achèvent de démocratiser leur usage, rebattant les cartes de la distinction.

Dans A la recherche du temps perdu (« La Prisonnière »), Marcel Proust évoque l’impatience d’Albertine de se régaler de haricots verts achetés à la marchande de quatre saisons : « Et dire qu’il faut attendre encore deux mois pour que nous entendions : “Haricots verts et tendres, haricots, v’là l’haricot vert.” Comme c’est bien dit : Tendres haricots ! vous savez que je les veux tout fins, tout fins, ruisselants de vinaigrette, on ne dirait pas qu’on les mange, c’est frais comme une rosée. » Le texte égraine alors les différents cris de Paris que le narrateur perçoit de sa fenêtre. Pour s’en faire une meilleure idée, rien de tel que ces scènes d’imitations des cris parisiens enregistrées dans les années 1910 par Jean Péheu. Le marchand de haricots n’y est pas oublié (00 :15). 

* Isabelle Degrange, est chargée de collections en Gastronomie à la Bibliothèque nationale de France

Légende de l’image :

« Gousses et graines légumières ». Horticulture. Jardin potager et jardin fruitier. Atlas iconographique, planche 23. Illustrations d’Edouard Maubert ; textes de F. Hérincq et Fr. Gérard Le Règne végétal, Paris : T. Morgand, 1864-1869. 17 vol. gr. In-8. Bibliothèque nationale de France, département Sciences et techniques, S-8444

Pour aller plus loin :

– Eric Birlouez, Petite et grande histoire des céréales et légumes secs. Éditions Quae, 2022.
– Antoine Jacobsohn, Gilles Debarle et Kamel Elias (dir.), Du fayot au mangetout : l’histoire du haricot sans en perdre le fil. Rouergue, 2010.
– Adam Maurizio, Histoire de l’alimentation végétale : depuis la préhistoire jusqu’à nos jours. Introduction et commentaires de Michel Chauvet. Ulmer, 2019.
– Nathalie Vidal, Des hommes et des graines. Delachaux et Niestlé, 2016.
– Sélections « Patrimoine gourmand ». En ligne sur Gallica.
– Sélections « Horticulture ». En ligne sur Gallica.

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