La science se cherche Episode 1 : Le consommateur

Christian Huyghe, la vision au long cours

03.04.18

Christian Huyghe, Directeur Scientifique adjoint de l’Institut National de la Recherche Agronomique (INRA) ne le sait probablement pas mais il est rapidement devenu une star d’Alimentation Générale avec cette vidéo tournée à l’exposition universelle de Milan en 2015 sur la question fondamentale : « À qui appartient le vivant? » Nous l’avons retrouvé dans son bureau pour un grand entretien dont voici le premier épisode où il est question des États généraux de l’alimentation et du poids du consommateur.

A.G. : Le consommateur, a-t-il ce pouvoir d’agir par ses choix alimentaires sur la direction que prendra le développement de l’agriculture ?

C.H. : On prend trop peu souvent en compte le fait que le consommateur est un humain qui a la capacité de choisir et de décider, sur la base des informations dont il dispose. La question qu’on a pour demain c’est d’éclairer le consommateur pour qu’il puisse faire ses choix. J’ai une absolue certitude que l’ère du numérique change la donne. L’information sur un produit peut se diffuser très vite. On n’est qu’au début de ce processus et on l’utilise seulement pour pointer du doigt quelque chose qui ne va pas ou qui est exceptionnel. Demain la propagation de l’information va devenir une règle. Vous irez acheter une bouteille de vin, et vous aurez l’information sur le nombre de traitements phytosanitaires, peut-être sur les éventuels résidus, mais aussi sur les conditions de garde de la bouteille. Vous n’avez probablement pas besoin de le savoir mais technologiquement parlant ça va être possible. Alors si un viticulteur, ou un distributeur vous vend une bouteille sans cette information, vous serez suspicieux et ne l’achèterez probablement pas.

Les données sont massives et coûtent beaucoup, ne serait-ce que pour les garder. Beaucoup de gens se préoccupent de la propriété des données et c’est notamment très sensible dans le monde agricole. Il faut réussir à faire passer l’idée que la propriété n’est rien, c’est l’usage qui compte, notamment comment on le partage. Dans le domaine du numérique, le bénéfice vient du grand nombre de connexions, chaque donnée prise individuellement, chaque capteur isolé est sans intérêt.

Comment traiter cette information collectivement est une vraie question pour la recherche. On a surtout eu une recherche inductive – on émet une hypothèse et on la teste. De plus en plus, on fait de la recherche déductive. Mais la question des données massives ouvre la voie à la recherche au hasard. L’exploration des données faite avec des algorithmes très puissants analyse les mises en relation et les patterns que personne n’a détectés auparavant et auxquels on a accès seulement par le traitement des données massives. En recherche agronomique, cela existe déjà dans le secteur de la génétique. Historiquement, c’est celui qui a créé le plus de données pour le moment. La question se pose de savoir comment généraliser ces approches.

Dans le cas de l’étude de l’impact sur la santé des produits phytos par exemple, la démarche inductive aurait été la suivante « je prends trois personnes ; je les expose à deux pesticides et à un placebo et je regarde » (ce que l’on ne fait pas bien sûr). La démarche déductive est « je repère des personnes malades, je regarde à quoi elles ont été exposées et je déduis ». La méthode big data  donne : « je prends une population très large pour laquelle je n’ai aucun a priori, je regarde son état de santé, toujours sans aucune hypothèse préalable, et je vois que les gens entre 30 et 40 ans qui vivaient à tel endroit et à telle période, ne se sentaient pas bien ». Sur le plan pratique, c’est très compliqué à faire, mais c’est vers ça qu’on tend. Un de mes collègues de l’INRIA m’a dit un jour : « Je ne sais pas ce que les données ont à dire mais je vais les faire parler ». Je trouve que c’est une très belle phrase et très juste.

Les États généraux de l’alimentation (E.G.A.) vont-ils laisser leur trace dans l’histoire de l’agriculture française ? Est-ce un tournant dans son développement ?

Ils ont fait un projet de loi qui porte sur les pesticides (séparation conseil et vente), sur les relations commerciales, sur la juste rémunération. Il ne faut pas regarder la loi au grain très fin, il faut regarder le tableau avec du recul. Pour comprendre sa portée, il va falloir  se revoir dans dix ans. Vous vous rappelez du Grenelle de l’environnement de 2008 ? Sur le coup on disait  qu’il n’en sortirait rien. Aujourd’hui, dix ans après, tout en est imprégné. C’est une forme de prise de conscience collective : quand tu mets 800 personnes d’horizons très différents au même endroit, tu crées un mouvement. Ensuite, c’est le rôle des politiques de s’en emparer et d’initier des dynamiques.

On a besoin de construire un nouveau contrat social, car celui qui est en place aujourd’hui correspond à la fin de la deuxième guerre sur la base « on a faim ». Le 30 janvier dernier, lors du colloque sur le biocontrôle, le ministre de l’agriculture a dit que « nous contribuons à la création d’un nouveau contrat social autour de l’alimentation ». Je pense que c’est bien cela qui se joue. Des philosophes disent que pour innover, il faut créer des espaces communs. Pour créer une innovation ensemble, les gens doivent partager quelque chose : une éthique, des valeurs, un objet, une finalité, une destination.

Quand on crée quelque chose comme les E.G.A., les participants ne partagent pas tout, loin de là, mais par le fait de les mettre ensemble, un espace commun et une destination commune se créent. Ils n’adhèrent pas forcément à un point de vue, mais ils se créent un autre point de vue ; et cette création est indispensable. Pour moi les E.G.A., c’est un espace commun.

La semaine prochaine, épisode #2, où il sera question de la fin des pesticides

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