Portrait Artisan

La dernière fabrique de Jambon, à Paris

27.09.14

Au petit matin, de légères effluves de cochon grillé remontent la rue de Charonne. Et personne n’imaginerait qu’au 166, cachée dans la cour d’un HLM, se trouve Doumbea-Sojadam, la dernière fabrique de jambon de Paris… à Paris.

Plusieurs fois par semaine le rituel est le même: des gros bras déchargent les cuisses de cochons français, fraichement arrivées de Rungis ou d’un abattoir situé à Dreux en Eure-et-Loir. Chaque pièce est marquée au fer d’une Tour Eiffel. Ensuite Daniel Rochon, répète depuis plus de trente ans les mêmes gestes: trouver l’artère et saumurer le jambon avec une aiguille. Le sang gicle sur son tablier et les veines se remplissent d’un bouillon de légumes et de sel de Guérande pour préserver la viande et lui donner son goût. Ensuite la cuisse passe dans d’autres mains qui la désossent, la trempent et la mettent en chaussette pour la mouler. Avant de partir au four pour une cuisson à coeur pendant 8/9 heures à 68 degrés.

« On travaille comme des artisans, tout est fait à la main« , commente le patron, Yves Le Guel. Portant fièrement une blouse violette rehaussée d’une tête de cochon, il énumère: son jambon, le « Prince de Paris », ne subit aucun traitement mécanique des viandes (baratte, sabreuse), et n’a ni colorants ni conservateurs. Et il ne se garde donc que 15 jours. « L’industriel lui il malaxe la viande et ajoute des polyphosphates pour maintenir l’eau dans la viande. Son jambon il a 20 à 30% d’eau. Chez moi, la cuisse arrive à 11,5 kilos et ressort à 8 kilos », donc pas d’eau pour gonfler la balance, ajoute-t-il.

Rose clair versus rose flashy
Résultat : un jambon rose clair (et pas rose flashy comme dans les rayons des supermarchés), à l’aspect mat (un jambon luisant est mauvais signe disent les professionnels), en forme ovale et authentique en bouche. Yves-Marie Le Bourdonnec, le boucher star, ne vend qu’un seul jambon blanc: le « Prince de Paris ». « C’est le meilleur, très naturel, avec le bon assaisonnement« , confie-t-il à l’AFP. Yves Le Guel reconnaît d’ailleurs lui-même que c’est la recette du bouillon de légumes qui fait la différence, formule bien évidemment jalousement gardée.

Chez Le Bourdonnec, son jambon est même un produit d’appel car « le jambon c’est le produit des enfants et les enfants sont très prescripteurs« . Seul défaut pour lui: comme il n’est pas baratté, il se tient « très mal » donc « il faut vendre le jambon entier dans la journée« , précise le boucher. Outre Le Bourdonnec, Yves Le Guel sert aussi d’autres bouchers ou charcutiers, des grands chefs comme Yannick Alléno, des palaces parisiens et des épiceries fines.

Sa salaison et ses 13 petites paires de mains préparent chaque semaine 500 jambons qui sont vendus à plus de 80% à Paris et dans sa petite couronne. Le reste est livré au Cannet (Alpes-Maritimes) ou à l’étranger, en Thaïlande ou en Roumanie notamment. Pour vendre, il insiste sur la qualité de son produit mais aussi sur cette image de marque: « je suis la dernière salaison à faire le traditionnel jambon de Paris (avec la couenne) dans Paris« . Mais attention, ce n’est pas le dernier à faire du jambon blanc à Paris. « Un certain nombre de charcutiers traiteurs de Paris fabriquent encore leur jambon blanc » pour leur clientèle, comme 60% des artisans charcutiers de France, tient à préciser Joël Mauvigney, président de la Confédération des charcutiers traiteurs. Mais ils le font en petite quantité, en plus du reste. Estampillé « Saveurs Paris Ile-de-France » par le Centre régional de valorisation et d’innovation agricole et alimentaire (Cervia), organisme de la Région Ile-de-France, Yves Le Guel regarde maintenant vers l’Asie.

Avec un chiffre d’affaires de 2 millions d’euros, en hausse encore de 30% l’an dernier, l’avenir semble plus rose (clair) que jamais. Mais Yves Le Guel et son fils, Florian, en route pour la relève, le promettent: « si on grossit, on continuera à embaucher mais fabriquer avec des machines, jamais » !
Paris, 26 sept 2014 (AFP) – Par Sandra LAFFONT – san/fpo/bg

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