L’agriculture ne sert à rien : la preuve, les forêts poussent sans elle depuis des millénaires. Les animaux, les fruits et les légumes que nous connaissons se sont multipliés à l’ombre des arbres… Puis l’homme s’est dit qu’il pouvait faire mieux. On déboisa tant que la forêt française manquât de disparaître au XIXe – elle n’occupait plus que 13% du territoire. Mais une prise de conscience collective permit de la sauver, doublant sa superficie en moins de cent ans. Cette évolution se poursuit encore avec le mouvement de l’agroforesterie, dont le visage, en France, est certainement celui d’Alain Canet. Nous sommes partis à sa rencontre…

Personne ne sait pourquoi la famille Canet s’est passionnée pour les arbres. Même Alain, il n’en sait rien : « Je n’ai jamais compris d’où venait l’inspiration de mes parents. En fait c’était des questions qui nous semblaient évidentes et qu’on ne se posait pas. Dans la ferme familiale, en Savoie, on cultivait de tout, on élevait des vaches, des cochons et des canards, et toujours on voyait l’arbre comme un allié. On faisait de l’agro-écologie, de l’agroforesterie, de la permaculture, même si ces termes n’existaient pas à l’époque. »
Hop hop hop. Comme aujourd’hui ces termes existent, peut-être faut-il les démêler une bonne fois pour toutes. Voici donc trois définitions utiles :
– Agro-écologie. C’est le terme le plus vague. Il désigne une agriculture qui concilie les performances économiques et environnementales.
– Agroforesterie. C’est un mouvement qui vise à ré-introduire l’arbre dans l’agriculture, que ce soit sur les bords des champs (comme dans les bocages), ou en plein milieu de ceux-ci (ce qui est plus étonnant).
– Permaculture. Ensemble de pratiques, plus ou moins scientifiques, qui visent à produire un maximum tout en utilisant le minimum d’eau, d’hommes et d’énergie, notamment en laissant une plus grande place à la nature sauvage. Le mot est surtout utilisé en maraîchage.
On peut donc considérer que la permaculture et l’agroforesterie sont deux facettes de l’agro-écologie, qui ont en commun de replacer le sol (plutôt que la plante) au cœur de leurs actions. C’est plus clair ? Allez, on reprend notre conversation avec Alain.

La famille Canet, donc, travaillait une ferme plantée de pommiers et de poiriers, à contre courant des pratiques en vogue à l’époque. Tout autour d’eux les arbres étaient arrachés quotidiennement. « Les agriculteurs du coin nous prenaient pour des originaux« , se souvient-il. « En 1984, on était cernés par les autoroutes et les infrastructures en béton. Alors mes parents ont décidé de déménager dans le Sud-Ouest, où il y avait plus d’espace et de libertés. » Les Canet s’installent dans une ferme isolée, charmante mais dont le terrain est parfaitement pelé. Ils veulent réintroduire des arbres et, pour se faire aider, fédèrent une dizaine d’agriculteurs dans une petite association départementale : Arbre et Paysage 32. Des arbres, ils ne s’arrêteront jamais d’en planter puisque l’association existe encore aujourd’hui, et compte près de 800 membres…
Jusqu’à ses 20 ans, Alain se sent proche de la nature mais lui préfère le BMX. Puis il entame des études en mécanique agricole et en communication. Un passage dont il n’est pas fier : « Je me destinais à vendre très cher des machines dont les paysans n’ont pas besoin. » Dans un sursaut, il rejoint l’association de ses parents et se découvre une passion. Dorénavant, il défendra l’arbre dans l’agriculture. Il a notamment pris part à la création de deux associations nationales : l’Association Française des Arbres et des Haies Champêtres (un réseau d’agriculteurs qui agit très concrètement sur le terrain), et l’Association Française d’Agroforesterie, qu’il préside encore, et dont l’action vise à promouvoir l’agroforesterie sur le plan politique tout en encourageant la recherche scientifique.

En vingt ans, la recherche a d’ailleurs fournit les preuves dont l’agroforesterie avait besoin pour asseoir sa légitimité. Pêle-mêle, voici quelques bienfaits des arbres en agriculture :
– Ils filtrent l’eau profondément dans le sol et limitent la pollution des nappes phréatiques.
– Ils protègent les cultures et les troupeaux des excès climatiques (vent, soleil, etc.).
– Ils augmentent le bien-être des animaux, qu’ils soient sauvages ou d’élevage.
– Ils offrent des paysages beaucoup plus variés et poétiques (on préfère tous une vallée de bocage breton qu’une immense plaine de Beauce).
– Ils limitent l’érosion des sols, qui est un phénomène exponentiel touchant le tiers des terres cultivées en Europe. De fait, dans ces régions, les rendements baissent.
Sur leurs racines se développent des champignons essentiels, les mycorhizes, qui agissent comme des engrais dans le sol et protègent les plantes contre divers pathogènes.
– Ils offrent un habitat pour une faune et une flore qui rendront de nombreux services à l’agriculteur. Premier exemple dans les branchages, où l’on trouvera des oiseaux et des chauves-souris qui se nourrissent d’insectes nuisibles aux cultures. Second exemple au pied du tronc, où les micro-organismes et les vers de terre abondent, dégradent la matière organique et produisent de l’humus, qui forme la couche supérieure du sol, absolument indispensable à toute vie végétale (c’est cette couche que l’on désigne communément par le mot « terre »).
L’humus, c’est pas rien ! L’état du sol est l’une des grande préoccupation des agronomes. Pour être fertile, un sol doit posséder plus de 1% de matière organique – le précieux humus. En dessous de cette limite, la zone est considérée comme désertifiée, tandis que la moyenne nationale se trouve maintenant autour de 1,3%. La situation s’aggrave : 95% des agriculteurs continuent de dégrader leurs sols, qui chaque année perdent un peu plus de matière organique… Pour les promoteurs de l’agroforesterie, aucun doute que l’arbre forme une partie de la solution.

« Un sol ne devrait jamais être nu, souffrir au vent, cuire sous le soleil ou se noyer sous la pluie. Il doit y pousser le plus de végétaux possibles, et les plus grands possibles pour rester en bonne santé », nous dit Alain. Mais ne risque-t-on pas de créer quelques conflits de voisinage ? Bien sûr, il faut mûrement penser les associations pour profiter des symbioses. Par exemple, quand le noyer a besoin de soleil (en été), le blé est déjà moissonné ; mais que le blé réclame cette énergie (en hiver), le noyer sans feuillage est en dormance. Cela signifie que l’on peut planter cinquante noyers sur chaque hectares d’un champ de blé, et donc produire deux aliments plutôt qu’un seul sur une même parcelle. Une agriculture productive et propre à la fois.

Après s’être battu pendant 20 pour la reconnaissance de l’agroforesterie, Alain peut tirer le premier bilan. Contrasté, forcément : « Sur le terrain les résultats sont excellents, mais uniquement dans les régions où nous sommes bien implantés – à savoir l’Ouest du pays. » Son plus beau souvenir ? Alain s’en rappelle avec gourmandise : « Quand on a réussi à faire accepter l’agroforesterie dans la PAC ! Avant 2010, l’arbre était vu comme un gêneur, et les agriculteurs étaient même sanctionnés si les branches étaient un peu trop grandes ! Depuis, l’agroforesterie est entré dans la loi d’orientation agricole française, où elle considéré comme le dixième pilier de l’agro-écologie. »
Preuve que les mentalités évoluent. Le monde agricole s’est ouvert et les oppositions de principe font place aux confrontations d’idées. « C’est fini l’époque où l’on se disait – toi tu es trop gros – toi tu es trop petit – toi tu n’es pas assez bio… » Il existe désormais un consensus : l’agriculture doit changer de cap et cette révolution sera collective (ou ne sera pas)…

Alain envisage de passer le flambeau d’ici quelques années, s’il trouve des volontaires pour le remplacer. Mais pas question de se mettre en retraite ! Quand il aura quitté la présidence de son association, il pourra consacrer tout son temps à son activité secondaire… L’édition. Oui, Alain est directeur de la collection Arbres en campagne, chez Actes Sud, spécialisée dans les livres d’agronomie. Pour lui, les livres forment la suite logique de son combat puisqu’ils permettent à ses idées, et celles de ses amis, de toucher un public plus large encore.
Mais Alain ne semble pas prêt de raccrocher les gants… Il nous quitte car il a un avion à prendre : direction l’Ecole Vétérinaire de Nantes. « Je vais donner un cours pour expliquer que l’agroforesterie est une clef pour la vitalité des abeilles et la remise en état des essaims. Elles ont besoin des arbres qui ne sont pas mellifères – le saule, le frêne, le noisetier, l’orne – qui leur amènent une nourriture saine et diversifiée tout au long de l’année. »
Encore un effort. Peut-être que bientôt, la forêt retrouvera l’espace qu’elle occupait avant que l’agriculture n’apparaisse : près des deux-tiers du territoire français.
* * *
(1) Plusieurs chiffres de cet article proviennent du site de l’Office National des Forêts : http://www.onf.fr/gestion_durable/sommaire/milieu_vivant/patrimoine/forets_francaises/20071001-133331-958050/@@index.html
Article écrit par Benjamin Stock (La Ruche qui dit Oui) / Photographies La Ruche qui dit Oui.
Pour découvrir la Ruche qui dit Oui ! c’est par ICI et pour lire son blog, c’est LÀ.
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