Ville campagne Un oeil sur le monde

Cuisinier, un métier politique

03.09.14

Pas de malentendus. MAD en danois veut dire nourriture et rien de fou dans ce symposium qui vient de fêter sa quatrième édition dans sa ville natale de Copenhague.

Chaque année un thème. En 2011, c’était « La végétation », puis «L’appétit » vint en 2012, et l’année dernière « Les tripes ». S’agissant d’une manifestation largement destinée à un public de cuisiniers, le thème de cette édition n’était pas sans charme : « Qu’est-ce que cuisiner ? ». Pour répondre à cette question pour le moins fondatrice qui couvre la période des hommes préhistorique à nos jours, René Redzepi, chef de Noma à Copenhague et initiateur de MAD avait partagé son Commissariat avec Alex Atala, son confrère star de D.O.M. à São Paulo.

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René Redzepi et Alex Atala accueillent le public.

25 conférences plus tard, on va lâchement esquiver une synthèse rapide et faire une petite pirouette en posant une autre question fondatrice : « De quoi MAD est-il le nom ? ». René Redzepi a donné un élément de taille, au sens propre, en conclusion de cette édition. En 2011, quand il a lancé la manifestation, il a envoyé des mails à tous les chefs possibles et imaginables pour les inviter à le rejoindre dans la réflexion. Il a reçu quatre réponses. Cette année, 5000 demandes ont été envoyées à Copenhague, pour un chapiteau de 600 places. Et puisqu’on est dans les chiffres, ajoutons-en deux autres : en 2011 au moment de sa fermeture, El Bulli avait reçu plus de deux millions de demandes de réservation et en 2013, la Chambre de commerce de Paris a affiché trois créations de restaurant par jour dans la Capitale, pour six qui ont péri.

Les chefs sont ainsi rentrés dans le star system du Life style, jouent les modèles hipsters avec barbe et tatouages de rigueur et font partie, avec le Bio, des programmes des écoles de marketing et de communication. Et MAD a montré à plusieurs reprises les signes de ce malaise. Difficile en effet d’afficher un rôle politique, social avec une philosophie et une éthique quand le monde des media et du marketing s’est emparé de vous comme un décorateur de vies pour classes moyennes et supérieures qui ont les moyens du beau et du bon. Et à ce titre, au chapitre des grands moments de cette édition, on aura particulièrement apprécié les prestations de deux défroqués qui ont revendus leurs trois étoiles bling bling pour vivre en accord avec eux-mêmes et le monde: le français Olivier Roellinger et l’italien Fulvio Pierangelini. Le premier avec l’optimisme d’un jeune militant et le deuxième avec le pessimisme poétique de la mélancolie qui sied à un vénitien. Chacun dans leurs styles, ils ont répondu à la question. Cuisiner, ce n’est certainement pas jouer les stars de rock pour une riche clientèle en quête de retour sur image et/ou investissement, ce que Fulvio résumera par la formule « j’ai chorégraphié trop longtemps pour des danseurs désintéressés. » Cuisiner, ça implique de mettre ses tripes sur la table 350 jours par an et, comme l’a souligné le même Fulvio, « le fondement culturel de ce que l’on fait est aujourd’hui plus nécessaire que jamais. »

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Alex Attala sur la scène de MAD pour l’ouverture.

Dans une société qui se réfugie volontiers dans cette valeur sûre et quotidienne qu’est la nourriture, les chefs ne peuvent pas ignorer le monde à l’extérieur de leurs restaurants, le monde immense de ceux qui n’y vont pas mais ont pour la fonction de cuisinier le respect dû à la noblesse de la matière traitée. Et dans cet ordre là, parmi ceux qui ont fait le show et renversé la table Ron Finley et le juge Jayme Santos Junior ont remis quelques pendules sociales à l’heure, de Los Angeles pour le premier à São Paulo pour le second.

Ron Finley se définit comme un fermier urbain et tient des propos politiques assez peu éloignés du français Pierre Rabhi. Aucun désert ne lui résiste, tout le monde peut apprendre à faire pousser des graines pour se nourrir, y compris sur les trottoirs des ghettos sud-californiens les plus désertiques. Photos avant/après à l’appui, Ron Finley avec sérieux et humour à la fois a ouvert une voie magnifique pour répondre à la question d’origine de MAD. Cuisiner pour lui n’est qu’une option. Celle qui vient après la question plus fondamentale encore « Qu’est-ce que cultiver ? »

Quant au juge brésilien (épaulé par David Hertz interviewé ici) venu raconter son travail dans une prison de femmes, l’universalité de sa réponse est évidemment très faible au regard de celle de Ron. Quoique. Il a montré que cuisiner, pour ces femmes enfermées pour longtemps dans un univers sans issues, semble les faire passer bien au-dessus des murs d’enceinte de leur prison. On y perçoit tout un roman familial, toute une culture qui remonte à la surface et cuisiner est alors synonyme d’une fenêtre de liberté.

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Loin du Symposium, la ville de Copenhague se dessine.

L’équipe de MAD, toujours plus performante dans l’organisation de son symposium, avait eu la bonne idée de publier préalablement à la manifestation 17 essais qu’elle avait commandé pour poser quelques bases à nos réflexions. Beaucoup sont de très haute qualité. Parmi ceux-là, l’américain Eric Schlosser, journaliste, écrivain et producteur de film répond parfaitement à une objection qui courrait dans les gradins de MAD. « Certains pensent que les chefs ne devraient pas s’exprimer sur des sujets sociaux, qu’ils ne devraient pas s’engager pour des causes politiques ou essayer de changer notre système d’alimentation. Chacun a droit à ses opinions. Mais je pense que c’est ridicule. Jusqu’à très récemment, les chefs n’étaient à peine plus que des serviteurs pour les classes supérieures. Et l’attitude envers leur travail était du même ordre que celle traditionnelle envers les femmes : va à la cuisine, tais toi et cuisine. … Si les chefs d’aujourd’hui ne sont pas qualifiés pour diffuser leurs idées sur ce qu’ils pensent du système, qui l’est ? … J’imagine au contraire que les gens qui aiment cuisiner devraient savoir une ou deux choses sur ce que nous mangeons. »

Fulvio, en exhortant les chefs à se secouer un peu n’a pas dit autre chose en recommandant à l’audience un peu médusée de faire bien attention à ne pas se retrouver comme les amants de Jacques Brel qui finissent par reconnaître qu’ « Il nous fallut bien du talent pour être vieux sans être adultes ».

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